5 juin 2014 - 00:00
Les secrets du Grand Orgue de l’OSM dévoilés
Par: Martin Bourassa

Le grand orgue Pierre-Béique, nommé ainsi en hommage au fondateur et directeur général de l’Orchestre symphonique de Montréal de 1939 à 1970, a été inauguré le 28 mai lors d’un concert gala auquel participait une délégation maskoutaine, dirigée par Benoit Chartier. Le concert repris les 29 mai, 1 er et 9 juin a permis d’entendre l’instrument majestueux dialoguer et se fondre avec l’orchestre.

En plus de cette série de concerts, un événement Portes ouvertes proposant sept récitals solo et des ateliers animés par des artisans de Casavant Frères complétait ce moment mémorable, moment de réjouissance où des milliers de Montréalais et d’ailleurs ont pu apprécier les richesses de l’instrument.

Le grand orgue opus 3900 du facteur maskoutain occupe une place royale à la Maison symphonique. Cet instrument produit par des artisans de chez nous est le reflet de ce que nous sommes, il s’inscrit dans la continuité d’une riche tradition musicale et de facture d’orgue, et il atteint à un niveau de beauté qui ne laisse personne indifférent. L’élaboration d’un orgue de salle de concert diffère du travail de facture d’orgue plus traditionnel. L’instrument est conçu pour répondre à des exigences spécifiques de fusion avec l’orchestre et d’accompagnement de choeurs. Ainsi, flexibilité et dynamique sont à la base de son architecture tonale. L’orgue est une machine complexe qui doit offrir précision et souplesse à la démarche artistique du musicien. Le facteur d’orgues par différents calculs a privilégié des techniques qui permettent à la machine de servir efficacement et discrètement l’harmonie donnée aux tuyaux. Enfin, par sa taille imposante, le grand orgue Pierre-Béique offre un visuel unique et spectaculaire, qui permet de l’identifier, et qui devient une sorte de signature du lieu. Le succès de ce grand orgue repose sur l’intégration réussie de ces trois facettes : tonale, mécanique et visuelle. Une vision commune communiquée à tous les artisans, doublée de la collaboration de tous les intervenants, a été le gage de cette réussite.

Le Grand Orgue Casavant Frères

Le Grand Orgue Casavant Frères est un instrument d’esthétique française de 83 jeux répartis sur quatre claviers et pédalier, pour un total de 6489 tuyaux. Sa composition a été établie par Casavant Frères en collaboration avec Olivier Latry, organiste de Notre-Dame-de-Paris et représentant de Maestro Kent Nagano et de l’Orchestre symphonique de Montréal.

On trouve dans les quatre claviers ou divisions manuelles les rôles traditionnels des Grand Orgue, Positif et Récit. Le quatrième clavier contrôle une division double, le Grand Chœur, une sorte d’extension du Grand Orgue. Cette division comporte pour neuf jeux une octave grave additionnelle procurant des jeux expressifs à la Pédale. D’autres jeux sont harmonisés sur pression d’air plus élevée, pour des timbres particuliers comme celui du Diapason avec entaille de timbre, ou encore celui du Cor Français. Des fondamentales substantielles pour supporter l’orchestre, l’harmonisation ascendante et la grande clarté des timbres sont des caractéristiques de l’ensemble sonore. Pour donner à l’orgue la souplesse et la flexibilité qui caractérisent les ensembles instrumentaux ou vocaux, trois divisions sont en boîte expressive. Le terme division expressive indique que les tuyaux de ladite division sont enfermés dans une chambre à double paroi munie de volets que l’organiste peut actionner de la console pour diminuer ou augmenter le volume sonore, sans avoir recours à des changements de registration. Les paramètres de construction des tuyaux sont établis avec le plus grand soin, du choix des alliages aux choix des anches et aux compositions des mixtures, tenant compte du rôle musical de chaque division, et de son emplacement. Les tuyaux sont en alliage d’étain et de plomb, en 70 % étain pour l’ensemble des principaux, des flûtes harmoniques et des anches des claviers non expressifs. Les tuyaux de bois sont en frêne. Enfin, toutes les possibilités orchestrales ne limitent pas le répertoire soliste de l’orgue. En effet, les jeux de mutation, cornets, anches solistes, etc. qui apportent tant de couleurs et de sonorités caractéristiques de l’orgue sont largement représentés dans toutes les divisions

Disposition des composantes internes

La position de l’orgue dans la salle offre une situation idéale pour la projection tonale. La disposition de l’instrument est guidée par la composition des jeux et la géométrie du lieu pour que l’architecture sonore puisse être rendue de la façon la plus convaincante qui soit.

Le Positif expressif est disposé de par et d’autre de la console mécanique. Il sera utile pour l’accompagnement des choeurs, et sa définition harmonique le rendra apte à bien servir un répertoire qui exigera finesse et articulation. Au-dessus de la console, sur un même niveau, se trouvent le Grand Orgue à l’avant, le Grand Choeur à l’arrière, et les jeux de Pédale répartis de chaque côté. Cet ensemble sera privilégié pour les dialogues avec grand orchestre. Enfin, au niveau le plus élevé se trouvent la division Récit, et les jeux haute pression du Grand Choeur. Casavant Frères, en collaboration avec Diamond-Schmitt et Ædifica, a conçu un buffet spectaculaire, un ensemble visuel qui est le point focal de la salle. Les tuyaux sont disposés de façon très dynamique, et créent un mouvement ascendant de gauche à droite. Des blocs de Trompettes-en-chamade (tuyaux horizontaux), dont un est mobile et peut être rentré à l’intérieur de l’orgue, complètent l’ensemble dans la partie basse sur la droite. Tous les tuyaux verticaux sont suspendus et donnent l’illusion de flotter devant l’orgue. La réalisation de la façade a comporté plusieurs défis de taille, considérant que plusieurs grands tuyaux de 32’ avoisinent un poids de près de 1000 lb chacun, avec en plus leur structure métallique de plusieurs centaines de livres.La boiserie derrière les tuyaux de façade a été créée en continuité avec celle de la salle, utilisant le hêtre des forêts de Gatineau dans des planches de dimensions et textures différentes. Trois sections ou boucliers créent des effets de profondeur dans cette boiserie dont la courbe convexe est contraire à celle concave des tuyaux de façade.Il faut noter le grand espace dévolu à la console mécanique, espace qui lui confère une autorité sans équivoque, digne de la puissance visuelle de l’instrument.

Un orgue à la fine pointe de la technologie

L’orgue est à traction mécanique et est doté d’une seconde action électropneumatique entièrement indépendante de la mécanique.

L’action électropneumatique, développée par les frères Casavant à la fin du XIX e siècle, permet d’assister l’action mécanique pour la traction des notes. L’assistance électrique est alors actionnée par des capteurs à effet Hall. Ces capteurs peuvent être programmés différemment pour l’ouverture et la fermeture des soupapes. Ainsi, il est possible d’asservir le système électropneumatique à la mécanique, assurant une entrée prompte, une répétition nerveuse, et surtout un relâché synchronisé à la mécanique. Une seconde console mobile localisée sur scène permet de jouer l’orgue par son action électropneumatique. Trois points de connexion sont disponibles pour localiser la console à l’avant de la scène ou parmi les instruments de l’orchestre. Les longueurs et les courses des claviers sont calculées précisément pour obtenir les meilleures relations possible pour un contrôle précis et sensible des soupapes, et pour une action légère permettant à l’organiste toute la latitude pour l’expression musicale. Simultanément, le calcul des longueurs et des largeurs des soupapes, ainsi que des largeurs des gravures des sommiers, est établi pour assurer une alimentation en vent qui soit suffisante (sans baisse de pression même si tous les jeux sont tirés), sans toutefois compromettre le mouvement pour les répétitions et traits rapides. Des barrages dans chaque gravure de tous les sommiers seront installés pour que les fonds n’affectent pas l’émission sonore des anches. Un bel escalier en bois est aménagé et permet d’occasionnelles visites d’invités de l’Orchestre symphonique, en plus de faciliter l’accès pour l’entretien et l’accord. Trois souffleries de capacité impressionnante sont installées dans une pièce insonorisée et située à l’extérieur de l’enceinte acoustique de la Maison symphonique. L’alimentation en vent est réalisée par de généreux réservoirs. Avec le concours des grands régulateurs (antisecousses), le vent est souple et l’émission sonore des différents mélanges de jeux chante comme il est souhaité, sans être affectée de « houppements ». Les porte-vent sont en bois et le système de vent est silencieux.Enfin, les consoles sont équipées de systèmes de contrôle électronique à la fine pointe de la technologie. En effet, il est possible de programmer certaines fonctions sur une tablette iPad, pour ensuite les communiquer aux consoles par un système sans fil (WI-FI). La réalisation de ce grand instrument a nécessité de nombreuses heures et la collaboration de plusieurs intervenants. Nous tenons à transmettre nos plus sincères remerciements à madame Jacqueline Desmarais dont la générosité a permis la création d’un des plus grands orgues d’orchestre, le plus grand mécanique de notre maison et le plus achevé de nos réalisations. Sans vouloir faire une liste exhaustive, il faut mentionner l’enthousiasme et la collaboration d’Olivier Latry, de Louise Laplante (OSM), de Matthew Lella (Diamond-Schmitt), de Michel Languedoc (Ædifica), et de toute l’équipe de Casavant Frères.

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