26 décembre 2019 - 14:16
Histoire d'ici
Des idéologies opposées (2)
Par: Le Courrier
T.-D. Bouchard, tableau d’Oscar de Lall, vers 1930. Collection Centre d’histoire

T.-D. Bouchard, tableau d’Oscar de Lall, vers 1930. Collection Centre d’histoire

Dans l’article précédent, il a été question de l’ultramontanisme. Dans celui-ci, il sera démontré l’idéologie de la doctrine opposée : l’anticléricalisme.

Voyons ce qu’en dit le dictionnaire de politique. « L’adjectif anticlérical qualifie ce qui est opposé à l’intervention, à l’action ou à l’influence des autorités religieuses et du clergé dans la vie publique et plus particulièrement dans la politique. […] L’anticléricalisme rassemble des idées ou des tendances marquées par l’hostilité au clergé et surtout à son ingérence dans le domaine temporel, c’est-à-dire dans la vie terrestre, dans la société. Il s’oppose au cléricalisme, pratique ou idéologie, qui ne considère les questions de la vie publique qu’à partir des idées religieuses. »

Originaire de France, l’anticléricalisme s’est d’abord opposé au catholicisme avec pour but d’empêcher le clergé de retrouver son influence sur la population, perdue lors de la Révolution.

Porté par une grande confiance dans la République, l’anticléricalisme s’est concrétisé et réalisé avec la séparation de l’Église et de l’État et la mise en place de la laïcité, Loi française de 1905.

Au Québec, comme ailleurs, les partisans du libéralisme sont contre toute forme d’intervention de l’Église aux niveaux social et politique, ils sont plutôt d’avis que l’Église et l’État doivent être séparés. Les anticléricaux sont pour le progrès et la modernité, tandis qu’ils sont contre le traditionalisme.

Parmi les anticléricaux, il y a le Parti rouge, un parti politique composé de réformistes radicaux. Il s’oppose à l’influence de l’Église et utilise notamment des journaux d’opinion comme L’Avenir et Le Pays pour faire passer son message.

Un autre acteur important pour l’anticléricalisme est l’Institut canadien, créé par des professionnels et des intellectuels en 1844. Lieu de discussions et d’échanges sur une multitude de sujets, l’Institut possède une bibliothèque considérable qui contient même des livres interdits par l’Église. Cette situation déplaît au clergé qui condamne l’Institut.

Plusieurs anticléricaux protestent contre la censure que veut faire l’Église sur les livres. C’est le cas de Louis-Antoine Dessaulles, un ancien président de l’Institut canadien, et d’Arthur Buies, journaliste canadien auteur des « Lettres sur le Canada ». Après des années de conflit avec l’Église catholique, l’Institut canadien ferme en 1877.

Dans son mémoire de thèse intitulé La pourpre et le rouge : l’anticléricalisme canadien-français au XIXe siècle, Guillaume Durou le décrit ainsi : « L’anticléricalisme canadien-français, bien que différent de celui de France, a pourtant vécu sensiblement les mêmes tribulations. On attaqua là-bas, comme ici, la présence trop forte des Jésuites. Des guerres scolaires sur les formules pédagogiques et les matières dispensées ont également divisé le monde de l’instruction publique. On fit ici l’expérience d’un anticléricalisme urbain, sauf quelques exceptions où le discours radical avait trouvé un fort sentiment de sympathie dans les campagnes, tout comme en France. »

On s’aperçoit que notre anticléricalisme avait toute sa teneur, toutes ses raisons d’exister, toute sa puissance littéraire, toute son idéologie. Pourtant, et c’est sans doute là que réside la plus profonde différence, il devint chez nous marginal, alors que dans le cas de la France, il devint le « conformisme des bien pensants ». Progressivement, à l’encontre de la « mode idéologique », l’anticléricalisme se retrouva à la fin du XIXe siècle abîmé, attaqué, oublié, même par l’élite dominante.

Enfin, il faudra attendre l’approche de la Première Guerre mondiale pour voir naître une nouvelle génération d’anticléricaux, comme Télesphore-Damien Bouchard et, plus tard, le cénacle de « Cité Libre » ainsi qu’une nouvelle garde d’ecclésiastiques et de laïcs progressistes. D’ici là, le catholicisme intransigeant aura eu raison de bien des consciences.

Albert Rémillard, membre du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe

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