2 mai 2019 - 14:45
Forum
Deux démagogies
Par: Le Courrier
Depuis des décennies, le Canada, comme le reste de l’Occident, est divisé politiquement selon un clivage droite-gauche. Cependant, depuis le début du 21e siècle, une tentation démagogique semble gagner les deux côtés, qui en viennent à se ressembler.

Une « droite poutine »

L’émergence des trash radios un peu partout en Amérique et le style des plus abrasifs cultivé par les commentateurs de grands médias, comme FOX et Québecor, a généré une nouvelle tendance chez les personnalités droitistes. Cette tendance consiste à soulever le prolétaire contre l’élite. Non pas l’élite économique, mais l’élite médiatique et sociale (syndicats, groupes militants).

Cette nouvelle droite qui se prétend amie du peuple et vectrice de changement, bien qu’elle soit menée la plupart du temps par des millionnaires, titille les frustrations populaires causées par la pauvreté, la mondialisation sauvage et le sentiment d’impuissance global. Elle prétend que les responsables de ces frustrations sont également les gens au bas de l’échelle de pouvoir. Il est d’ailleurs pertinent de noter que cette droite prône des mesures économiques qui souvent nuisent à la classe moyenne.

En politique, cette droite s’incarne par des Doug Ford, Jason Kenney et autres François Legault. Elle demeure également présente à la radio et dans certains grands médias conservateurs. Si la droite cultivait jadis un amour de l’érudition, comme chez Lucien Bouchard, la « droite poutine » rompt aujourd’hui avec cet héritage par son côté anti-intellectuel.

Une « gauche caviar »

Depuis le début du siècle, une partie de la gauche change. Elle devient bourgeoise et universitaire. Elle se définit de plus en plus selon des critères libéraux de centre-droit (méfiance envers l’État, obsession de l’individualisme, acceptation passive de la mondialisation) et glorifie le politiquement correct. Cette nouvelle gauche, née des postcolonial et gender studies, rejette l’ancienne figure marxiste sacrée de l’ouvrier et lui préfère le Minoritaire.

Selon cette logique, l’ennemi à abattre n’est plus le bourgeois, mais bien l’homme blanc hétérosexuel cisgenre, de même que l’Occident et sa culture. Cette nouvelle gauche milite au sein de formations politiques (QS, NPD) sous la forme de groupes LGBT+, « antiracistes » et féministes de Troisième Vague (comme la FLQ de Gabrielle Bouchard). Elle est bien présente dans les grands médias plus libéraux et dans les médias sociaux, tel le Huffpost.

Il est pertinent de remarquer que cette gauche a autant le désir de contrôler le pouvoir que de contrôler la culture. Ses militants vont mettre beaucoup de temps et d’énergie à chasser des « controverses » dans le discours public. Malheureusement, la nouvelle gauche en vient à s’aliéner les gens ordinaires en s’éloignant de leurs vrais problèmes. La « gauche caviar » diffère de la gauche traditionnelle par son côté métropolitain, par son abandon de certaines luttes, comme la laïcité, et du principe de collectivité, au profit du principe de particularité, qui classe et valorise les gens par leurs différentes intersections.

Ce qui se ressemble…

Les deux démagogies partagent des caractéristiques. Elles rejettent toutes les deux les faits journalistiques pour les opinions exclusivement puisées dans des médias sympathiques et sur internet. Elles abandonnent le débat en diabolisant l’adversaire et en refusant d’entendre ses arguments.

À gauche, on s’empresse de souligner à un critique ses privilèges, qui rendraient son avis vain. À droite, on s’imagine que toute objection provient d’une grande conspiration (islamo) gauchiste. Les deux démagogies restent passives face au capitalisme. La nouvelle droite vénère le privé et les idées néolibérales. La nouvelle gauche approuve, entre autres, la mondialisation et la marchandisation des corps (par la prostitution ou la grossesse pour autrui) comme des actes émancipatoires.

Enfin, les deux démagogies contribuent à une américanisation des sociétés canadiennes et québécoises. À gauche, on prône des théories développées dans les universités américaines et on vénère l’anglais comme la « langue de l’ouverture ». À droite, on accepte une conception américaine de l’économie et de la culture, toujours basée uniquement sur les profits.

Le Canada et le Québec font face à deux démagogies, semblables dans leurs procédés, qui empoisonnent le discours public. Elles dénaturent les idéologies desquelles elles sont issues. Or, la démagogie, déjà à l’Antiquité, était adversaire de la démocratie. Il y a péril en la demeure si la population se retrouve coincée entre deux forces rivales aussi peu honorables sur le plan intellectuel.

Orian Dorais, Saint-Jude

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