25 octobre 2018 - 00:00
La laïcité : encadrer les relations de pouvoirs et non les apparences
Par: Le Courrier

ue signifie le droit collectif à avoir un État laïque et d’apparence laïque? S’agit-il d’interdire le port des signes religieux aux employé.e.s de l’État ou de garantir l’émancipation de l’État et des pouvoirs publics de l’autorité des convictions religieuses? Au fond, où se situe l’enjeu de la laïcité? Au niveau de l’apparence de l’État ou au niveau de l’indépendance du pouvoir qui organise la vie collective?


Sur le plan institutionnel, l’État québécois est laïque, car les principes normatifs qui définissent les institutions étatiques et orientent leurs prérogatives sont indépendants des doctrines religieuses. Les fonctions exercées par les agents de l’État sont soumises aux règles définies par l’autorité politique. Ainsi, à moins de souscrire à une contradiction de principe entre le port des signes religieux et l’exercice des fonctions publiques, il est difficile de voir en quoi le port du hijab, par exemple, empêcherait une employée de l’État de satisfaire aux exigences de ses fonctions même en situation d’autorité. Le problème est donc ailleurs, dans le fait que cette employée qui représente l’État porte un signe religieux; l’image de celui-ci ne perd-elle pas en crédibilité?

Dans le but de préserver la crédibilité et l’objectivité intégrale de l’État, la possibilité d’interdire le port des signes religieux pourrait être soulevée. Mais devant cette possibilité, la collectivité québécoise est divisée entre ceux qui appellent à une interdiction du port des signes religieux à tous les employé.e.s en position d’autorité et ceux qui limitent l’interdiction aux personnes détentrices d’un pouvoir coercitif. La question demeure, cependant, de savoir si les revendications collectives de laïcité sont motivées par l’interdiction des signes religieux au sein des représentations étatiques ou par l’émancipation de l’autorité politique de la tutelle de l’autorité religieuse. Il me semble qu’une lecture de la fondation de l’État moderne québécois donnerait plus de crédit à la seconde perspective.

Tant et aussi longtemps qu’il n’est pas démontré que la signification d’un signe religieux porte atteinte à un intérêt public et est contraire à la nature des fonctions publiques, ce serait moins le signe religieux qui poserait problème que l’interférence entre les convictions religieuses et les exigences normatives de la fonction publique : ôter le hijab n’implique pas nécessairement une objectivité de la figure d’autorité qu’est l’employée; comme garder son hijab ne se traduit pas forcément par une absence d’impartialité dans l’exercice de ses fonctions. On voit donc que l’enjeu en matière de laïcité, c’est l’encadrement normatif du pouvoir de l’État et la délimitation de son champ d’action par rapport à la sphère religieuse, et non le signe religieux comme tel.

Suivant cette perspective, on peut proposer une troisième voie en matière de protection de la laïcité de l’État, qui consisterait à renforcer les contraintes constitutionnelles et les dispositifs de la contestation démocratique. L’objectif sera de s’assurer que toutes les prérogatives de l’État sont satisfaites conformément aux principes qui définissent l’autonomie du politique à l’égard des convictions religieuses. Pour y parvenir, il faudra renforcer les mécanismes juridiques et institutionnels de contrôle et de surveillance des prises de décisions au sein de l’État ainsi que le pouvoir qui rend effectives ces décisions. Il s’agira de réfléchir sur un dispositif de contrepouvoir qui dissuadera un agent de l’État à agir, dans l’exercice de ses fonctions, selon ses convictions religieuses.

Dans le milieu de l’éducation, par exemple, une partie de l’évaluation des enseignant.e.s pourrait consister à vérifier la conformité de l’enseignement au principe de la neutralité religieuse. De même que l’on pourrait penser à une structure de pouvoir et de contrepouvoir, entre la direction des écoles, l’assemblée officielle des parents et le milieu syndical, qui permettrait à ce que chaque partie s’assure que les méthodes d’enseignement satisfassent les exigences de la neutralité religieuse de l’État.

Mais encore : pour contrer l’influence des convictions religieuses dans l’exercice des fonctions publiques, nous pouvons renforcer le pouvoir de contestation du citoyen, en mettant à sa disposition les moyens juridiques et institutionnels lui permettant de contester toute décision lorsque celle-ci est jugée non conforme à ses intérêts dans le domaine considéré. Par ces différentes mesures, nous assurerons le respect de la liberté de conscience, l’objectivité des agents de l’État et, surtout, notre vigilance sera rehaussée par rapport à l’influence des tendances intégristes dans la fonction publique. Défendre la laïcité, c’est renforcer l’émancipation démocratique de l’État. 

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