2 mai 2019 - 14:21
Histoire d'ici
Le mât de mai
Par: Le Courrier
Plantation du Mai. Dessin de Charles William Jefferys assisté de Thomas Wesley, The Ryerson Press, Toronto, McClean, 1942.

Plantation du Mai. Dessin de Charles William Jefferys assisté de Thomas Wesley, The Ryerson Press, Toronto, McClean, 1942.

Depuis très longtemps, le retour du printemps donnait lieu à diverses manifestations célébrant la fertilité de la terre. La plantation du Mai (autrefois écrit May), fête de l’arbre, est une très ancienne coutume, populaire en France du 18e au 19e siècle.

Cette coutume a été amenée en Nouvelle-France par le premier gouverneur Charles Huault de Montmagny. Elle faisait partie des obligations du censitaire envers son seigneur. À titre d’exemple, dans un acte de concession par Hyacinthe Delorme à Germain Girouard père, daté du premier d’avril 1772, ladite obligation est ainsi décrite : « … Plus sera tenu ledit preneur d’aider à planter un Mai de cinquante pieds de haut tous les ans au premier jour de mai sans aucun commandement à la porte de mon dit sieur Seigneur baïlleur… »

Le Mai est un très grand sapin dont l’écorce et les branches ont été enlevées, à l’exception de trois pieds à la cime, qu’on appelle « le bouquet ». L’arbre est embelli de girouettes, couronnes, drapeaux, fleurs de papier, rubans. Vers 1675, ce privilège est réservé au capitaine de milice, un homme respecté assumant une multitude de tâches semblables à celles d’un maire. La plantation d’un Mai est une façon de reconnaître officiellement son importance. Après la Conquête de 1759, on honore davantage le seigneur de cette façon, ou d’autres personnages distingués comme le curé.

Cette ancienne coutume était assortie de tout un cérémonial qu’il est fort intéressant de connaître. Un peu comme une pièce de théâtre où chacun des acteurs a un rôle bien précis à jouer. Le matin du premier mai, des villageois armés de fusils, de cornes à poudre et de haches se présentent chez le seigneur. Sans tarder, ils entreprennent de préparer le Mai, de creuser la fosse et de confectionner des coins pour consolider le Mai. Le seigneur feint d’ignorer ce qui se passe, malgré le tumulte.

Un premier coup de fusil avertit le seigneur que tout est prêt. Entouré de sa famille, il reçoit au salon deux émissaires venus demander la permission de planter le Mai. La foule accueille de façon enthousiaste la réponse assurément positive qu’on leur transmet. Après une courte prière, les participants élèvent le Mai. Ce dernier surplombe majestueusement toutes les maisons.

Un autre coup de feu retentit pour avertir le seigneur qu’il devra recevoir une seconde fois les ambassadeurs, accompagnés de deux habitants portant des gobelets et de l’eau-de-vie. Ils invitent le seigneur à recevoir le Mai en l’arrosant et en tirant, le premier, sur l’arbre. Les protagonistes s’offrent mutuellement de l’alcool et trinquent joyeusement.

Quand le seigneur sort, un jeune homme grimpe sur le Mai et crie « Vive le roi, vive le seigneur! » et redescend. Le seigneur décharge alors son fusil sur le Mai, imité par tous les participants. Plus l’arbre noircit, plus c’est flatteur. La fête se poursuit chez le seigneur où on consomme de la viande, des galettes sucrées et, surtout, beaucoup d’alcool. À chaque toast, des hommes sortent pour tirer sur le Mai. On chante, on chahute, on raconte des histoires.

Une autre version de cette tradition est la danse des Olivettes ou la danse des Cordelles qui consiste à tresser et à détresser autour du mât de mai des rubans fixés au sommet. On la reproduit parfois de nos jours aux Fêtes de la Nouvelle-France à Québec ou à l’arrivée des coureurs des bois à Trois-Rivières.

Je suis certain que le seigneur Delorme y prenait part avec le plus grand des plaisirs. Il devait être très fier de voir tous ses censitaires rassemblés autour de lui pour festoyer.

Daniel Girouard, membre du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe

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