2 septembre 2021 - 07:00
Les pétro-flics
Par: Le Courrier

Àla suite des images insupportables de l’asphyxie de George Floyd par un policier du Minnesota, le slogan « defund the police » (réduisez le budget de la police) est devenu un cri de ralliement pour ceux qui trouvaient que les policiers avaient un préjugé anti-Noirs ou anti-Autochtones. Ce slogan répond à un problème au sujet de certaines méthodes policières; cependant, il y a un revers à cette demande de dé-financement.

Tout comme à Toronto, les médias rapportent que la région montréalaise est en train de devenir le théâtre de fusillades fréquentes, avec de nombreux décès et des blessés. Devant cette insécurité des citoyens qui craignent de recevoir une balle perdue, la question touchant « la loi et l’ordre » risque de devenir un enjeu majeur lors des élections. Devant des positions aussi extrêmes, comment s’assurer que le travail policier favorise le fonctionnement harmonieux d’une société démocratique? Surtout qu’en sourdine, certaines formes de financement du travail policier par le lobby pétrolier pourraient aggraver la situation!

Les élections fédérales viennent d’être déclenchées. Le premier ministre Justin Trudeau parle de la lutte aux changements climatiques, mais dépense 12,5 milliards pour améliorer Trans Mountain et abreuve les pétrolières à coup de subventions. D’autre part, depuis son accession à la chefferie du parti conservateur, Erin O’Toole est l’alternative comme premier ministre. Lors d’un congrès virtuel en mars 2021, il a proposé que son parti reconnaisse enfin l’existence des changements climatiques; la proposition a été battue à 54 %. Ça augure mal pour un parti qui veut reprendre le pouvoir en 2021!

Durant le blocus ferroviaire de l’hiver 2020, M. O’Toole avait affirmé qu’il « criminaliserait » les efforts de manifestants et d’activistes qui tenteraient de faire fermer des infrastructures importantes. Cette affirmation devient troublante si on la met en relation avec un article de Dylan Penner du Council of Canadians; celui-ci affirme que de grandes corporations pétrolières financent des fondations policières partout au Canada.

La « Calgary Police Foundation » a reçu des millions de dollars de compagnies telles que TC Energy (propriétaire de Coastal GasLink), Cenovus Energy, Encana Corporation, Enbridge et Talisman Energy. On retrouve la longue liste des donateurs dans l’article de M. Penner. Il est déconcertant de constater que le financement de ces « fondations supposément charitables » puisse indirectement influencer les décisions d’un corps de police.

Si un corps policier reçoit des dons (par l’entremise d’une fondation) pour des équipements paramilitaires, est-ce qu’il sera plus enclin à la confrontation qu’à la conciliation lorsque la compagnie exigera que la police fasse respecter une injonction contre des activistes qui s’opposent à une infrastructure pétrolière? L’option confrontation ne risque-t-elle pas d’envenimer la situation? On se souviendra qu’en janvier 2020, les Premières Nations ont été offusquées que la GRC entre sur leurs terres! Est-ce que le fait que la GRC soit entrée sur les terres des Wet’suwet’en a quelque chose à voir avec le fait que la « RCMP Foundation » a reçu des fonds des propriétaires de Coastal GasLink?

Un article du journal de Vancouver, The Tyee, pose également toute la problématique de ce financement des forces policières par de grandes corporations. La « Vancouver Police Foundation », qui a fourni les fonds pour « un véhicule blindé et un camion de 500 000 $ servant de poste de commandement », n’a pas voulu répondre aux questions de ce journal. Mais cette militarisation des forces policières est préoccupante pour les « Coast defenders » autochtones et les manifestants qui s’opposeraient à la construction du terminus de Trans Mountain près de Vancouver.

Dans ce cas, les forces policières auraient-elles un préjugé favorable envers « l’ordre établi » même s’il appartient aux tribunaux de trancher des questions au sujet de la légalité des positions de Coastal GasLink? Devant la possibilité de la 6e grande extinction des espèces, la lutte en faveur du climat ne doit pas faire face à une police militarisée et payée (du moins en partie) par Big Oil. Ici comme ailleurs, le droit démocratique de s’opposer à des installations d’énergies fossiles ne doit pas être compromis!

La police se doit d’être l’arbitre neutre lorsque des tensions s’élèvent entre des intérêts divergents. Oui, il y a un problème par rapport à la « masculinité toxique » de certains groupes policiers. Mais il ne faut pas édenter la police. Sinon, les bandes rivales et les groupes criminalisés vont accélérer le nombre des fusillades que nous déplorons actuellement.

Si je peux paraphraser l’article, ces fondations sont un espace pour accentuer la collaboration entre le pouvoir des grandes corporations et la police. Des voix s’élèvent au Canada et aux États-Unis pour dénoncer le racisme systémique chez les forces policières avec son lot de violence et de décès qui affectent majoritairement les personnes de couleur et les Autochtones. Certains prônent de réduire le budget de la police (defund the police!); malheureusement, cette solution ouvre la porte à du financement « privé » par de grandes corporations.

Dans le délicat équilibre entre la liberté, le droit de manifester et la sécurité des citoyens, les forces policières jouent un rôle clé. C’est pourquoi nous devons prendre le temps d’examiner attentivement l’influence grandissante des grandes corporations sur les forces policières par l’entremise de ces fondations.

Gérard Montpetit, membre du CCCPEM

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