30 avril 2020 - 13:38
Gouvernance dans le réseau de la santé
« L’imputabilité s’est perdue en chemin » – Jean Lemonde, ex-président du CSSS Richelieu-Yamaska
Par: Martin Bourassa
Jean Lemonde connaît bien la réalité de l’Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe. Sa mère y réside depuis une dizaine d’années et il a entre autres présidé le conseil d’administration du Centre de santé et de services sociaux Richelieu-Yamaska. Photo François Larivière | Le Courrier ©

Jean Lemonde connaît bien la réalité de l’Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe. Sa mère y réside depuis une dizaine d’années et il a entre autres présidé le conseil d’administration du Centre de santé et de services sociaux Richelieu-Yamaska. Photo François Larivière | Le Courrier ©

Jean Lemonde a connu le réseau de santé local et régional de l’intérieur, lui qui a siégé à de nombreux conseils d’administration d’organismes publics pendant 35 ans. Photo tirée de Facebook

Jean Lemonde a connu le réseau de santé local et régional de l’intérieur, lui qui a siégé à de nombreux conseils d’administration d’organismes publics pendant 35 ans. Photo tirée de Facebook

C’est à la lecture d’un tweet de Louise Harel, ancienne ministre dans les cabinets Lévesque, Parizeau, Bouchard et Landry, que l’idée de contacter Jean Lemonde nous est venue. Que disait ce fameux gazouillis de Mme Harel? « Paralysés par la bureaucratie, les CIUSSS sont trop gros, trop loin du terrain. Les CA des CHSLD enracinés localement sont disparus en 2003. Les CHSLD sont devenus invisibles dans la super structure. » Point de départ d’une conversation structurelle.

Pour discuter de ce commentaire, de structures et plus largement de la gouvernance dans le réseau de la santé, LE COURRIER s’est tourné vers Jean Lemonde. Pourquoi lui? Sachez qu’il est sans doute le Maskoutain le mieux placé pour discuter des structures dans ce réseau puisqu’il les a toutes très bien connues et fréquentées. Pendant 35 ans, il a siégé en tant qu’administrateur à toutes les instances locales et régionales possibles en santé.

Pour la petite histoire, retenons qu’il a entre autres présidé le CLSC des Maskoutains, siégé au Réseau Santé Richelieu-Yamaska, occupé la vice-présidence de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie et qu’il a été le tout dernier président du Centre de santé et des services sociaux Richelieu-Yasmaka, avant sa dissolution en avril 2015, dans la mouvance de la fameuse loi 10 et de la réforme Barrette. Une réforme contre laquelle Jean Lemonde s’était battu en coulisses, ce qui explique, du moins à son avis, pourquoi ses services n’ont pas été retenus quand est venu le temps de former les conseils d’administration des nouveaux centres de santé intégrés. Du jour au lendemain, il a été en quelque sorte « dés-intégré » du réseau intégré, bien qu’il ait poursuivi son implication à un autre niveau. Il s’était posé, à défaut de se reposer, au comité des usagers du CISSS Montérégie-Est, à titre de représentant de la région Richelieu-Yamaska.

Bye bye imputabilité

D’entrée de jeu, Jean Lemonde ne peut faire autrement que de donner raison à Mme Harel. Quant à la loi 10 et aux fusions de structures, elles ont éloigné les décideurs de la base et éloigné les centres d’hébergement publics ou privés du radar. Ces derniers, qui peinaient déjà à attirer l’attention des décideurs avant cela, n’ont fait que reculer dans les priorités, au profit bien souvent des activités hospitalières. « Ce sont des grosses machines qui dirigent tout à distance. Il n’y a plus de conseils d’administration formés par des gens de la place à chaque endroit. Alors, quand tu diriges à partir de Longueuil, ça s’peut que ça retrousse dans les bouts. Quand j’étais président du centre de santé, je recevais des appels de citoyens toutes les semaines et je les encourageais même à déposer des plaintes. Je me promenais sur les étages et je parlais au monde. Ce n’était pas parfait, mais on dirait que l’imputabilité s’est perdue en chemin. »

Sans se penser meilleur qu’un autre, il croit bien humblement avoir été « un bon » administrateur du réseau de la santé. « Je gardais l’œil ouvert et je détestais les surprises. Je me suis toujours fait un devoir d’être bien informé. Je consacrais pour cela entre 15 et 20 heures bénévolement pour préparer mes dossiers. Ce n’était pas un travail de représentation avec une seule petite séance par mois. J’étais dans l’action. »

On investit là où ça crie le plus fort

Ce n’est pas d’hier que le volet hébergement est le parent pauvre dans le réseau de la santé. Et la situation actuelle en est un puissant révélateur, dit Jean Lemonde.

« Le volet médical, celui du milieu hospitalier, est devenu prioritaire depuis longtemps et peut-être encore davantage depuis la dernière réforme. Avant celle-ci, je me souviens qu’à chaque réunion, on discutait du volet hébergement. Et déjà, ce n’était pas évident de concilier les deux volets. Depuis toujours, les budgets vont là où ça crie le plus fort. Et je ne suis pas sûr que ça crie très fort dans un centre d’hébergement comme l’Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe, par exemple. »

Pour bien illustrer son propos, il y va d’une petite anecdote toute personnelle concernant cet établissement qu’il connaît bien et où séjourne sa propre mère depuis une dizaine d’années. Jean Lemonde raconte qu’il avait boudé par principe les célébrations entourant le 175e anniversaire de fondation de l’Hôtel-Dieu au printemps 2015.

Il n’avait tout simplement pas le cœur à la fête, car au même moment, il avait constaté avec consternation que les résidents du centre d’hébergement mangeaient dans des assiettes d’aluminium de style repas pour emporter dans les cantines.

« On leur a servi de la nourriture dans des assiettes d’aluminium pendant trois mois sous prétexte que le lave-vaisselle était défectueux! Trois mois sans que personne ne réagisse. J’ai dû remuer ciel et terre pour qu’on en fasse une priorité! »

Parlant de priorités, Jean Lemonde estime qu’au moment de dresser le bilan de la lutte contre la pandémie et des façons de prévenir la prochaine, il faudra se souvenir des CHSLD, de ceux qui y résident et de ceux qui y travaillent. Il souhaite que la prise de conscience des dernières semaines ait un effet durable et porteur de changement.

Et même si l’Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe semble traverser la crise sans trop de mal, du moins si on se fie au nombre de cas rapportés de COVID-19, il invite les gens et les décideurs à faire preuve de lucidité. Des choses devront changer ici aussi, dit-il.

« J’y vais souvent, à l’Hôtel-Dieu, et j’en sors chaque fois démoli. On ne peut pas s’habituer à ce qu’on y voit. Tout le monde court tout le temps. Le personnel fait de son mieux, mais il manque de monde. La clientèle est de plus en plus lourde, de plus en plus hypothéquée. Ça prend plus en plus de bras, mais les budgets ne sont pas là. Ils ne suivent pas. Cela ne date pas d’hier, je peux en témoigner. »

Faire des choix

Pour la suite, Jean Lemonde souhaite que l’on priorise la prévention.

« Là, nous avons les deux mains dans le curatif et c’est la chose à faire. Mais quand tout cela se sera calmé, il faudra se remettre dans la prévention, investir en santé publique. Mais les hôpitaux aussi vont se remettre en marche et j’ai bien peur qu’ils reprennent encore toute la place dans les priorités pour reprendre le temps perdu. J’espère que les citoyens sauront demeurer vigilants et qu’ils continueront de regarder ce qui se passe sur le terrain. Quand une ministre s’annonce et visite un établissement, elle n’a pas le vrai portrait. Et les nouvelles maisons des aînés, c’est bien beau, mais dans l’immédiat, peut-on s’assurer de bien traiter le monde dans nos CHSLD et s’assurer qu’ils reçoivent tous au moins un bain par semaine? »

Il y aura des choix de société à faire, du moins des réflexions importantes, note M. Lemonde. « Le système d’hébergement public et privé qui cohabite, est-ce le bon modèle? Ne serait-il pas préférable de faire moins de place au privé, voire de le sortir de ce secteur? La question devra être débattue en temps et lieu à mon avis. »

Et si la question de bonifier de façon substantielle le salaire des préposés aux bénéficiaires semble faire l’unanimité, le vrai remède est beaucoup plus large que strictement salarial, prévient l’administrateur de longue date.

« Un bon salaire, cela ne règle pas tout. Encore faut-il que les conditions de travail soient intéressantes. On doit ajouter et ouvrir des postes, donner aux gens des horaires de travail qui ont du bon sens. On est loin, très loin du compte actuellement », conclut avec réalisme M. Lemonde.

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