1 juin 2017 - 00:00
Médias locaux et marketing digital
Par: Le Courrier

Je faisais récemment une comparaison entre deux services : une publicité dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe (hebdomadaire papier) de 375 $ et son équivalent sur Facebook. Cette comparaison a suscité quelques réactions dont l’expression d’une préoccupation pour la survie des médias locaux.

Je commencerai par énoncer quelques faits : 1) depuis l’invention du papier, plusieurs innovations ont permis d’accélérer la transmission de l’information, parmi elles : l’internet, les téléphones intelligents et les réseaux sociaux, 2) les innovations produisent généralement des gains de productivité et réduisent les coûts de production, parfois ils sont transmis aux consommateurs, parfois non, 3) les entreprises qui n’arrivent pas à adopter rapidement la technologie perdent de leur compétitivité. 

L’écart peut être grand. Dans le cas étudié, pour rejoindre les 16 à 65 et plus, dans la même mesure que Le Courrier, Facebook coûte 1/20, soit 5 % du prix affiché par le média papier, et ce, selon une estimation conservatrice et favorable au Courrier. Ce fait a provoqué la réaction suivante du propriétaire de ce journal, sur ma page, qui m’a dit qu’il ne couvrirait plus les activités de l’association à but non lucratif à laquelle je suis associé. Achat de publicité contre la publication d’un article. Sous d’autres cieux, cela s’appelle la per-diemisation de la presse.

1 – Diversité des voix

Une intervention beaucoup plus assurée, celle d’un citoyen du comté, Marc Bouchard, homme de média, regrettait qu’avec une publicité sur Facebook (plutôt que dans Le Courrier), les annonceurs contribuent à la diminution de la qualité de l’information locale et de la démocratie. Point sensé.

J’ai fait une petite recherche, en amateur, bien sûr, pour me faire une première idée sur la situation des médias et les enjeux auxquels ils sont confrontés. J’ai d’abord découvert que le thème de la concentration des médias avait 10 ans déjà. Le dernier mémoire de la Fédération des journalistes sur le sujet date de 2007. J’ai aussi acquis le vocabulaire : on doit parler de diversité des voix.

Qu’est-ce qu’une voix? Le CRTC affirmait en 2008 qu’une voix est un acteur professionnel ou non qui prend la parole dans l’espace public pour apporter un éclairage sur l’actualité. Une salle de rédaction comme Le Courrier constitue une voix, parmi d’autres. À l’époque, le CRTC disait aussi que les Canadiens préféraient encore les médias structurés pour l’information. Donnant ainsi un rôle prépondérant aux voix comme Le Courrier.

Depuis, cependant, je me demande si la situation n’a pas changé. Depuis 10 ans, le printemps arabe, le printemps érable, le rôle des nouveaux médias dans les campagnes électorales récentes pourraient indiquer un changement de préférence. Réduisant le rôle prépondérant des médias papiers traditionnels.

Si j’élargis les voix légitimes aux nouveaux médias, aux blogues, aux comptes twitters et aux comptes Facebook (à Linkedin, etc.), le nombre de voix semble augmenter et la diversité, que ce soit au niveau local ou national, semble assurée.

2 – Il faudrait payer plus cher pour des raisons morales

L’argument du Courrier, tel que livré sur ma page personnelle Facebook, c’est que je dois payer 20 fois le prix d’un produit similaire pour des raisons morales (lire non commerciales). C’est comme si on vous disait que vous deviez acheter une voiture électrique à 600 000 $ plutôt qu’une voiture à essence à 30 000 $.

En fait, parmi les arguments, il y a celui que le fournisseur de publicité internet ne paie pas d’impôt au Canada. C’est vrai. Comme beaucoup de multinationales, il pratique l’optimisation fiscale. C’est le cas d’Apple (au passage, quelle est la marque de l’équipement du Courrier?), de Bombardier, de Skype et autres. Un enjeu important qui tient d’une réforme de la fiscalité à mener au niveau planétaire.

Mais imaginons qu’il paierait le 15 % de taxes et, en plus, des impôts sur le revenu. Le coût du produit passerait de 15,70 à 20 $ approximativement. Toujours contre 375 $, l’offre du Courrier. Les 355 $ de différence correspondent à la difficulté qu’a Le Courrier à s’ajuster à la nouvelle technologie et à augmenter sa productivité.

Il revient à la direction de l’entreprise de trouver la façon d’être compétitive; pas au client de sacrifier de la satisfaction.

3 – Les réponses du marché

Ces moments de transition technologique sont difficiles pour les entreprises, les actionnaires et les gestionnaires. Un certain nombre d’emplois sont en jeu. Tristement. Malheureusement, ce n’est pas moi comme petit annonceur potentiel qui va déterminer le sort des salariés : c’est le marché.

La Presse a trouvé une réponse : elle a abandonné le papier. Le Devoir, lui, se place dans une niche de prestige. Le Courrier facture les annonceurs. Chaque dollar de plus que 20 $ (l’estimation du coût de la publicité internet avec TVH et impôts sur le revenu) correspond à une contribution à la survie du Courrier dans son modèle d’affaires actuel. Cela peut être un choix du client.

Bien sûr, j’interviens en gestionnaire plus qu’en spécialiste des médias et je ne demande pas mieux que l’on m’éclaire. Si j’étais député, j’aurais les moyens de demander qu’on m’informe sur la prépondérance des salles de presse comme voix démocratique dans l’état actuel de la recherche sur les médias. Cela changerait peut-être ma position.

Pour conclure, Le Courrier est une voix. Avec l’attitude de son propriétaire sur ma page, je ne suis pas sûr que ce soit une voix démocratique… c’est une voix quand même. Mais ce n’est pas la seule voix. 

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NDLR : Permettez-moi d’abord d’excuser mon patron, il a tendance à réagir promptement quand on dénigre gratuitement son journal et ses artisans. Encore davantage si on méprise nos lecteurs et nos annonceurs et quand ces commentaires émanent de gens chez qui on attend beaucoup de rigueur et d’honnêteté intellectuelles. Cela dit, mon patron a peut-être bien des défauts, mais il n’a jamais associé achat de publicité et couverture médiatique. Sachez seulement qu’il n’est pas dans les habitudes de la rédaction du journal de couvrir les assemblées annuelles des formations politiques. N’ayant pas votre talent évident pour aligner les phrases creuses, je ne perdrai pas de temps à relever les lacunes de votre réflexion concernant l’industrie des médias et ses transformations. Je me réjouis cependant de constater que certains partisans et militants qui appuient généralement vos vues et vos idées ont partagé sur le web la même déception que nous en prenant connaissance de vos premiers commentaires. 

Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de souligner que chaque annonceur est important. C’est justement la somme des annonceurs et des abonnés qui détermine le sort des salariés. Prétendre le contraire reviendrait à dire qu’un simple vote à une élection n’a absolument aucune importance. Donc, libre à vous de ne pas soutenir votre journal local ou de douter de son utilité à rejoindre un vaste auditoire, mais nos fidèles lecteurs et annonceurs sont encore très nombreux à nous renouveler leur confiance chaque semaine, et ce, depuis 165 ans. Enfin, ne me remerciez pas pour cette publicité gratuite, c’est de bon cœur que je vous l’offre!      

Martin Bourassa,
rédacteur en chef

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