20 septembre 2012 - 00:00
Orange 2012 : une exposition qui fait voir rouge
Par: Le Courrier
Le provocant et le choquant, une vertu?

On provoque les Maskoutains!

G. K. Chesterton (1874-1936), grand debater anglais devant l’éternel, se disait avec humour « toujours prêt à entreprendre un nouvel ouvrage à la moindre provocation ». Dans cet esprit, les Maskoutains ont droit cette année, gracieuseté des commissaires d’Orange 2012, à une provocation pas piquée des vers. Car il s’agit bien d’une provocation, de l’aveu même des commissaires susmentionnés. Sur le thème Les mangeurs, l’exposition installée au centre Expression et ailleurs dans la ville annonce en effet des oeuvres « choquantes ou troublantes » (Ève Dorais, citée dans Le Courrier, le 16 août 2012). Et on n’a qu’à jeter un coup d’oeil à la programmation de l’événement pour tomber parfaitement d’accord avec eux. Qu’il s’agisse d’une femme photographiée nue au milieu de porcs, et placée de manière à leur ressembler (équivalant du coup l’homme et la bête), d’une vidéo montrant « avec un réalisme cru » dont on nous assure qu’il « nous plonge dans une sorte de dégoût » un chat dévorant un rat et intitulé Birth of Love (naissance de l’amour), d’une autre montrant un homme en train d’ingurgiter « des quantités phénoménales de nourriture », d’une oeuvre composée de silicone et de 400 Kg de gras de porc ou d’une autre assimilant la religion catholique à une « théophagie » versant dans une manière de cannibalisme, les oeuvres (dans une proportion notable du moins) ont amplement de quoi choquer. Que dire de ce dessin présenté en pleine vitrine devant le Superclub Vidéotron dans le cadre de l’exposition parallèle Orange OFF et représentant un homme sodomisant un porc!? On se rappellera de même (je passe sur la triste et désolante « chambre au ketchup » – pardon si je ne me rappelle pas le titre exact) une oeuvre présentée à la même exposition en 2009, évoquant le « kidnapping » de Ronald McDonald, sous la menace d’un revolver. On a beau vouloir critiquer un certain type d’alimentation, faut-il louer le recours (même symbolique) à la violence, et diaboliser ceux qui y trouvent un plaisir? Un parent ayant assisté alors à la visite guidée avec des élèves du primaire me confiait avoir été estomaquée (!) par l’explication de la guide : Manger au McDonald est « mal », prêchait-elle à des enfants qui ont avoué plus tard sortir de temps en temps au McDo avec leurs parents. Est-on en train de dire aux enfants que leurs parents les éduquent mal? C’est-à-dire, de juger les parents absents devant leurs propres enfants? Considérons-nous prévenus : on nous provoque bel et bien!

Le provocant et le choquant, une vertu?

On nous répondra que la fonction de ces oeuvres est de faire office de critique sociale. Et on ne peut être contre la vertu, selon l’adage populaire. Cette fonction importante est admise : l’auteur est lui-même professeur de philosophie, qui a donc pour tâche notamment d’enseigner ce qu’est la critique. Mais la question que je pose est celle-ci : n’y a-t-il pas d’autres avenues, à la fois plus saines et efficaces que le « choquant », le laid et le « troublant » pour donner libre cours à une critique qui se veuille constructive?

On sourira et relativisera ce commentaire comme étant celui d’une « vierge offensée ». On rajoutera que l’art ne se préoccupe plus de la beauté ou du plaisir à contempler une oeuvre, et que ma propre critique devrait se mettre à la page. On expliquera peut-être, avec la compassion et la patience que l’on témoigne à l’ignorant qu’il s’agit là d’un phénomène qu’on appelle en termes techniques la « désesthétisation de l’art » (on trouvera bien un terme technique pour tous les travers que l’on essaie de justifier). Mais en termes de tous les jours, cela signifie bel et bien : nous nous autorisons en fait à vous présenter quelque chose de bas et de dégradant pour élever votre conscience sociale. Belle contradiction!

La critique par le beau

À son corps défendant, le centre Expression ne nous présente pas que ces apologies de la provocation. Ainsi, la récente exposition de Guy Laramée, Accrocher les roches aux nuages, installée tout l’été au même centre Expression, est un bel exemple d’une manière de critique sociale (il refuserait peut-être cette expression) attachée au beau : dans un contexte où nous avons oublié la transcendance et le sacré, les oeuvres de Laramée nous donnent de très belles pistes, recherchées tant au niveau de la technique que de l’originalité et de l’expression, pour contrer cet oubli primaire qui est aussi un oubli de soi. Et parce que son oeuvre est belle, elle nous incite d’autant plus à l’introspection, à la réflexion et à la contemplation – elle est de cette manière critique au sens où ces « valeurs » se font par trop discrètes dans une société qui carbure au tapageur, au sensationnel, aux émotions extrêmes, au choquant, au laid, au morbide. C’est-à-dire, exactement à ce que Orange semble déterminé à nous faire subir, que nous ayons ou non l’intention de visiter l’exposition.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es »

Nuançons : la préoccupation d’Orange 2012 est de mettre en relation la nourriture, le mangeur et la mort. Va pour le thème : notre condition est vouée à la mort, d’accord. Nous l’oublions et nous pensons immortels, d’accord. Quant à explorer « les côtés un peu plus sombres de la psychologie… [les] angoisses et obsessions », d’accord aussi : notre condition a certes des côtés sombres, comme l’a toujours dit la religion d’ailleurs, et cette exploration a aussi sa place dans mes propres cours (exit, donc, l’accusation de jouer les vierges offensées).

Mon seul problème concerne le recours au choquant et au provocant pour « faire passer le message » : Sommes-nous bêtes, ignorants et insensibles au point que seul un électrochoc pourra nous ramener à la conscience? L’art est la nourriture de l’âme. De quoi nous nourrissons-nous, disons, au sens spirituel? Question très autorisée ici, il me semble. Et de quoi nourrissons-nous nos enfants? Le centre Expression est toujours très accueillant pour les écoles. Mais nos enfants iront-ils visiter cette exposition troublante?

Mathieu Scraire L’auteur est Maskoutain et enseigne la philosophie au Collège Édouard-Montpetit à Longueuil -30-

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