5 Décembre 2019 - 15:57
Forum
Qui a peur de la démocratie?
Par: Le Courrier
Philippe Lorange a publié le 21 novembre dans ces pages un billet critiquant vivement la réforme du mode de scrutin, qui, supposément, affaiblirait nos gouvernements, renforcerait la partisanerie et favoriserait la représentation d’extrémistes. Il est primordial de remettre les pendules à l’heure, car cette réforme a au contraire pour but de doter le Québec d’un gouvernement qui représenterait enfin véritablement les intérêts de sa population.

Dans l’ensemble, les critiques de M. Lorange peuvent être réfutées par trois grands arguments : « ça marche très bien ailleurs », « ce n’est pas comme ça que la réforme fonctionnerait » et le dernier, mais non le moindre, « c’est ce qu’il faut faire si on croit à la démocratie ».

D’abord, les exemples à l’étranger. Si c’est la force du gouvernement qui vous inquiète, rappelons que l’Allemagne est probablement la démocratie la plus forte en ce moment, que les pays scandinaves sont sans cesse cités en exemple pour leur social-démocratie, que la Nouvelle-Zélande a fait preuve d’un leadership remarquable à la suite de l’attentat de Christchurch, que l’Écosse a un gouvernement définitivement plus fonctionnel que celui du Royaume-Uni (qui utilise notre mode de scrutin)… Évidemment, chaque peuple a sa propre culture politique, mais je suis loin de croire que le Québec est assez bête pour échouer là où tant d’autres réussissent. De même, l’ultra-partisanerie redoutée est tout le contraire de ce qui s’observe dans ces pays où les gouvernements de coalition se succèdent et permettent même de mettre fin à la division du vote sur certains enjeux. Le gouvernement catalan souverainiste est présentement constitué de quatre partis différents, allant de l’extrême-gauche au centre-droit. Je vous laisse faire le parallèle avec la situation québécoise…

Ensuite, certaines de ces incertitudes sont tout simplement factuellement incorrectes. Avec le mode de scrutin proposé par la CAQ, au fédéral, le parti populaire n’aurait pas eu plus de sièges qu’en ce moment, n’atteignant pas le seuil des 10 % des votes requis pour cela. Ce seuil – à 10 % ou même à 2-5 % comme le revendiquent certains – est la garantie qui protège de l’extrémisme en général. Rappelons également que le mode de scrutin uninominal majoritaire a permis l’élection de Trump et n’est donc en aucun cas une protection efficace contre l’extrémisme.

Aussi, les conservateurs auraient certes obtenu plus de sièges que les libéraux, mais leur position idéologique isolée les aurait fort probablement empêchés d’accéder au pouvoir. Au final, le résultat le plus probable d’une réforme, c’est des coalitions de partis qui parviennent à collaborer sur des projets sensés, réfléchis et transpartisans, et non plus un parti majoritaire qui dirige la nation à sa guise.

De plus, s’il est vrai que le mécanisme du système électoral deviendrait plus complexe, rappelons que le vote, lui, serait grandement simplifié en séparant les préférences en termes de candidatures et de partis. En effet, nous pourrons enfin voter pour notre député.e préféré.e tout en votant pour le parti qui correspond le mieux à nos idées, sans faire de compromis entre les deux si ces préférences ne concordent pas.

Mais, au final, tout ceci a bien peu d’importance face à l’argument principal pour la réforme : la démocratie. Si nous croyons sincèrement que la meilleure façon de diriger le Québec est d’écouter sa population (ce qui est, je crois, une opinion largement partagée), il est alors nécessaire de se doter d’institutions qui écoutent réellement la population.

Si un parti extrémiste a l’appui d’une proportion significative de la population, il devrait mériter une représentation. Il en va de même pour un éventuel parti « angliciste ». Dans un cadre démocratique, garder un système parce qu’il empêche la représentation d’idées qui dérangent n’est pas un argument valable. Même chose pour la stabilité du gouvernement : la démocratie est naturellement instable et incertaine, les seuls gouvernements parfaitement stables étant les autocraties. Si on croit à la démocratie, il faut apprendre à travailler avec cette instabilité, plutôt que d’essayer de l’éviter. Et même chose encore pour l’idée qu’il faut garder le mode de scrutin actuel afin de savoir les résultats rapidement : nos valeurs de démocratie doivent avoir priorité sur notre goût du sensationnalisme.

Pour ce qui est du référendum, personne n’est opposé au principe : cependant, la CAQ utilise un faux-semblant de démocratie pour empêcher de réellement améliorer notre démocratie. En effet, tous les indicateurs qu’on possède, des sondages aux résultats électoraux, indiquent un appui significatif à la réforme. Le référendum n’est donc qu’un moyen pour la CAQ de retarder celle-ci et de profiter encore des distorsions du mode de scrutin actuel en 2022, voire même de l’empêcher en jouant sur la complexité technique de l’enjeu pour semer le doute dans l’esprit de la population.

Cela dit, si on tient à consulter la population, rien ne nous empêche de le faire après avoir testé notre nouveau mode de scrutin pour quelques élections – les gens seront alors bien capables de juger en toute connaissance de cause si cette façon de faire leur convient.

Charles-Émile Fecteau,
coordonnateur de la Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable (SENSÉ)

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