12 juin 2014 - 00:00
Reconnaître la violence conjugale, le premier pas pour sauver des vies
Par: Le Courrier

« Chicane de couple qui a mal tourné », « guerre entre les parents », sont les expressions qu’on entendait cette semaine à la suite de ce qui semble bien être un homicide-suicide. Récemment, une série d’articles sur les parents qui se séparent parlait aussi de « parents en guerre » et des conséquences des « conflits de séparation » sur les enfants. Au fur et à mesure que les informations s’ajoutent, on apprend que le drame qui s’est joué à Saint-Liboire aurait pour cause la violence conjugale.

Ces décès auraient-ils pu être évités? C’est la question que se posent à chaque fois les intervenantes auprès des femmes victimes de violence conjugale. Les professionnels qui entouraient ce couple ont-ils eux aussi pensé qu’il ne s’agissait que d’une interminable chicane de couple? Ont-ils la formation et les outils pour distinguer les conflits de la violence conjugale? A-t-on conseillé à Madame, comme dans bien des cas, d’accepter que Monsieur ait des droits de garde pour montrer qu’elle était prête à collaborer avec lui? Les médias nous apprennent qu’il était interdit à Monsieur de contacter Madame et que les échanges de garde se faisaient par l’intermédiaire de tiers. On estimait donc qu’il pouvait représenter un danger pour Madame. A-t-on évalué s’il y avait un risque pour la sécurité du bambin à voir son père? Pourquoi l’échange de garde ne se faisait-il pas dans une ressource de supervision de droits d’accès où le personnel aurait pu être à l’affût du comportement trouble du père? Est-ce parce que ces ressources sont insuffisantes? Est-ce aussi parce qu’on préfère penser que les choses se tasseront? Pourtant, dans ce cas comme dans d’autres qui ont défrayé la chronique ces dernières années, on constate que certains hommes décident d’infliger la violence ultime à leur ex-conjointe en tuant leur(s) enfant(s). Il est temps que tous les intervenants, particulièrement ceux du système de justice, arrêtent de se mettre la tête dans le sable et prennent acte de cette réalité : la violence postséparation existe, certains conjoints profitent de leurs droits de visite ou de garde pour continuer de harceler leur ex-conjointe, certains retournent leur violence sur leurs enfants. Et nous ne sommes pas les seules à le dire. Une analyse sur près de 10 ans (2003 à 2011) de tous les homicides intrafamiliaux faite par le bureau du Coroner en Ontario montre que les trois quarts des cas mettaient en cause un couple qui avait des antécédents de violence familiale, qui était séparé ou sur le point de l’être. Et, dans 50 % des situations, on observait un comportement obsessif de l’agresseur, des menaces ou tentatives antérieures de suicide, une crainte intuitive de la victime à l’égard de l’agresseur. Le gouvernement du Québec s’est doté d’un plan d’action en matière de violence conjugale. Quand se dotera-t-on, ici aussi, d’un mécanisme pour analyser tous les homicides conjugaux et intrafamiliaux et ainsi améliorer les connaissances sur ces phénomènes? Surtout, quand formera-t-on tous les intervenants, particulièrement ceux qui interviennent en droit de la famille, à reconnaître la présence de violence conjugale et à prendre les mesures appropriées pour assurer la sécurité des membres des familles touchées? Quand mettra-t-on en place un réseau de services de supervision de droits d’accès, accessibles dans toutes les régions du Québec, dont les intervenants seront formés pour évaluer les risques à la sécurité? Il ne s’agit pas là de « luxe », mais de mesures pour sauver des vies.

Sylvie Langlais, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

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