27 septembre 2012 - 00:00
Ti-Jean Brillant et l’orange terrible (conte philosophique)
Par: Le Courrier
En réponse à une lettre publiée dans Le Courrier par Mathieu Scraire

En réponse à une lettre publiée dans Le Courrier par Mathieu Scraire

Ti-Jean, qui s’créyait plus brillant que les autres parce qu’il était professeur de philosophie au cégep (il allait même jusqu’à parler de lui à la 3 e personne), Ti-Jean, donc, se cherchait quelque chose à commenter du haut de son savoir – parce que c’était la meilleure façon, croyait-il, d’afficher sa supériorité. Ti-Jean ouvrit Le Devoir et en parcourut distraitement les pages jusqu’à ce qu’il tombe sur une photo, d’une femme, nue au milieu des cochons. Ça tombait bien, c’était une image promotionnelle pour un événement qui avait lieu dans son patelin, Saint-Hyacinthe, une bourgade reculée de fermiers où il s’était établi dans le seul but d’être assurément la personne la plus brillante de la ville. Bien entendu, ses habitants (dans le sens aussi d’habitant) n’étaient pas en mesure de comprendre l’Art avec un grand A, mais lui, il leur dirait quoi penser parce que lui il savait, lui il avait raison, toujours, après tout il était professeur de philosophie au cégep. Il aurait écrit sa lettre ouverte dès le jour même mais, malheureusement, le texte d’accompagnement n’était qu’un entrefilet, une présentation de quelques expositions de l’automne, et l’exposition en question ne devait commencer que deux semaines plus tard. Il bouillait d’impatience, mais devait se contenir, sachant, dans sa grande sagesse, que tout vient à point à qui sait attendre. Dans les jours qui suivirent, il écuma les journaux, autant Le Devoir que Le Courrier (journal de la bourgade où il résidait et dans lequel il démontrerait à ces fermiers de province qu’il leur était supérieur). Il alla même jusqu’à écouter la télévision communautaire et à parcourir Internet, où il dénicha le journal Mobiles et le site web de l’événement. Petit à petit, il trouva les éléments pour bâtir les fondements de son inquisition. Une sculpture en viande suspendue… théophagie! Un des journalistes avait même utilisé le mot. Ils ont voulu symboliser le corps du Christ, c’était certain et scandaleux! Et puis, théophagie était un de ces mots rares que ces paysans ne connaissaient certainement pas et ne comprendraient encore moins, ce qui servait parfaitement son dessein d’affirmer sa supériorité. Selon lui, l’art devait être beau, toujours, ne pas soulever de questions, ne pas faire réfléchir – de toute façon, dans sa bourgade, il n’y avait que lui qui était capable de le faire – selon lui l’art était quelque chose qu’on accroche dans son salon et qui nous change de la tapisserie tout en restant dans les mêmes tons, et ce n’était visiblement pas le cas de cette exposition, qui avait le nom d’un fruit : orange. Comme si l’art et l’agroalimentaire pouvaient faire bon ménage! Une semaine avant l’ouverture de l’événement, intitulé Les Mangeurs, son texte était pondu, il ne restait qu’à l’envoyer, pas besoin de perdre son temps à visiter l’exposition, les journalistes avaient certainement tout dit, ils n’avaient parlé que de quatre artistes sur dix-neuf, mais les autres étaient certainement du même acabit, pervers, torturés, choquants, irrévérencieux, toutes choses dont il faut épargner les âmes innocentes. Il ne cessait de relire son article, ajoutant ici, enlevant là, c’était merveilleux, mais il lui semblait qu’il manquait une petite touche qui blesserait quelqu’un, de façon à bien laisser la marque d’une autorité suprême. C’est alors qu’il se souvint d’une discussion qu’il avait eue avec l’un de ces habitants, au sujet du « Orange » qui avait eu lieu trois ans plus tôt. Le bouseux lui avait raconté qu’il y avait une oeuvre où l’on voyait le kidnapping de Ronald McDonald, personnage phare du capitalisme. La guide, ô scandale, s’était permise de dénigrer ce clown, elle aurait même mentionné que c’était mauvais pour la santé, de manger de la malbouffe. Il se souvenait très bien, ça l’avait scandalisé, à l’époque, pour qui se prenait-elle, cette petite éducatrice, pour éduquer les enfants de la sorte? Et les parents, dans tout ça? Si on ne pouvait même plus donner de mauvaises habitudes de vie à ses enfants où s’en allait donc le monde? Il écrivit quelques lignes puis, heureux d’avoir une fois de plus démontré sa supériorité aux yeux du monde, expédia son texte au rédacteur en chef du Courrier qui, ouvert à différents points de vue, accepta son texte et le publia dans les pages de son journal. Ti-Jean était heureux, mais il ressentit rapidement une sorte de vide, et recommença à écumer les journaux dans le but de trouver autre chose sur lequel jeter son dévolu. Il tomba sur une publicité du Rendez-vous des papilles, où l’on voyait une femme au milieu des légumes. Était-ce donc que l’on associait les femmes aux légumes? Ô scandale! Il écrirait une autre lettre ouverte! ***

Sur une note plus sérieuse, je vous confie que moi qui ai passé ma jeunesse à Saint-Hyacinthe, j’ai choisi de revenir vivre ici après quelques années dans une autre ville. J’ai été surpris et impressionné par les oeuvres des artistes présents à ORANGE – Les Mangeurs. J’ai assisté au lancement. Les gens du milieu de l’art comme les citoyens présents étaient impressionnés par la diversité et la qualité des oeuvres. Je crois que nous qui habitons Saint-Hyacinthe, nous savons nous ouvrir aux propos les plus audacieux, notamment quand ils nous permettent de réfléchir intelligemment à ce qu’est l’art, la nourriture, l’agriculture, et c’est une de nos grandes qualités.

Claude Mercier, citoyen de Saint-HyacintheNDLR : L’auteur est responsable des communications et de la promotion d’Orange.-30-

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