5 mars 2020 - 16:01
Forum
Trois solitudes
Par: Le Courrier
Pour mettre fin au blocus ferroviaire, le premier ministre Trudeau propose de dialoguer. Cela implique que tous, le gouvernement, les compagnies pétrolières et les Amérindiens, soient de bonne foi. Trente ans après la crise d’Oka, certains voient des parallèles entre les deux situations.

N’oublions pas que 1990 fut l’année où les trois « visages » du Canada ont été mis à nu par deux crises politiques majeures. En juin, le ROC (Rest of Canada) avait rejeté l’Accord du lac Meech. Cet accord minimaliste aurait permis au Québec de réintégrer le giron constitutionnel canadien dans « l’honneur et l’enthousiasme », selon les mots du premier ministre Mulroney. En refusant au Québec d’adhérer librement à l’entente constitutionnelle, le Canada était scindé en « deux solitudes »!

Quelques jours plus tard, la crise d’Oka éclatait dans les médias. Cela donna la chance au Canada anglais de casser du sucre sur le dos des Québécois tout en évitant de prendre acte du fait que le Québec avait un statut nébuleux à l’intérieur de la confédération. Trente ans plus tard, le Québec n’a toujours pas signé la constitution imposée lors de la « Nuit des longs couteaux » (5 novembre 1981), et la problématique amérindienne demeure entière. « Tout ce qui traîne se salit », affirme un proverbe populaire!

Tergiverser pendant 30 ans, est-ce être de bonne foi? La « solitude anglophone », représentée par le gouvernement fédéral, a-t-elle bloqué le dialogue et la réconciliation? À titre d’exemple, le Council of Canadians fait ressortir un cas patent de mauvaise foi gouvernementale en Nouvelle-Écosse. Alta Gas veut creuser des cavernes pour y entreposer du gaz naturel dans des formations de sel. Les rejets de saumures dans la rivière Shubenacadie seraient très nuisibles aux poissons d’eau douce, aliment essentiel pour les Mi’kmaq.

Plutôt que d’exiger qu’Alta Gas se conforme à la réglementation et respecte les droits des Mi’kmaq, le gouvernement propose de modifier la réglementation pour favoriser la compagnie d’hydrocarbures au détriment des droits de cette Première Nation. Un exemple classique du fait que « dialoguer avec quelqu’un de mauvaise foi, c’est se faire fourrer! ».

Pour transporter du gaz de schiste vers l’océan Pacifique, Coastal GasLink veut construire un pipeline sur les terres non cédées des Wet’suwet’en. Faut-il se scandaliser si les conseils de bande, créés par la Loi sur les Indiens, et les chefs traditionnels ont des opinions divergentes au sujet de la pertinence de ce projet? C’est comme au Québec, où certains étaient en faveur de l’oléoduc Énergie Est et d’autres contre!

De « ma solitude québécoise », j’applaudis ceux qui sont contre ces projets qui exacerberont les changements climatiques. J’ignore beaucoup de choses au sujet du vécu dans « la solitude des Premières Nations ». Ce que je comprends, c’est que les Amérindiens ont un lien avec la nature qui est différent du nôtre. Dans les faits, les aspirations communes des Premières Nations et des environnementalistes qui luttent contre les changements climatiques font de nous des alliés.

Quant à la bonne foi, la construction d’infrastructures en terres autochtones n’est-elle pas une forme agressive de recolonisation? C’est ce que soutient Michel Seymour dans une opinion où il critique la demande faite par le premier ministre Trudeau aux militants autochtones de respecter la règle de droit : « Mais comme l’écrit Pam Palmater, citoyenne mi’kmaq, membre de la Première nation d’Eel River Bar, au nord du Nouveau-Brunswick, avocate, professeure associée et titulaire de la chaire de gouvernance autochtone à l’université Ryerson : “Il s’agit du droit de ceux qui font les règles et non de la règle de droit” ».

Trente ans plus tard, rien n’est réglé dans les dossiers des solitudes « québécoise » et « autochtone ». À nos alliés en environnement des Premières Nations, je souhaite la sagesse de négocier efficacement tout en minimisant les inconvénients pour les personnes qu’ils veulent convaincre du bien-fondé de leur démarche. Avec le blocus ferroviaire, ils ont mis le doigt sur le talon d’Achille qui obligera le gouvernement à tourner le dos aux énergies fossiles et à respecter l’Accord de Paris.

Le blocus fait mal sur le plan économique; il fait mal également à de nombreux citoyens qui n’ont rien à voir avec ces enjeux. Pour gagner la guerre de l’opinion publique, il faut éviter d’antagoniser la population en la transformant en victime collatérale.

C’est pourquoi je leur suggère un moratoire conditionnel sur le blocus, mais avec un échéancier précis. Comme conditions, il leur faut exiger le départ de la GRC du territoire des Wet’suwet’en ET la fin immédiate de tous les projets de pipelines : Coastal Gaslink, Trans Mountain, GNL Québec ainsi qu’un hypothétique corridor énergétique visant à ressusciter Énergie Est. Tous ces tuyaux de la mort mettent les droits de diverses nations autochtones en péril et menacent mère Nature. Si ces négociations s’éternisent, qu’ils manifestent alors leur ferme intention de reprendre le blocus après un délai prédéterminé.

Pour conclure sur ce qui est l’essentiel, je veux citer cette parole pleine de sagesse de Tatanka Yotanka, (Sitting Bull), chef de tribu des Lakotas (Sioux) : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas! »

Gérard Montpetit,
Membre du Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain

image