12 mai 2011 - 00:00
Les Enfants Moroses
Un premier roman sur la peur de vivre
Par: Fabienne Costes

L’univers de jeunes adultes ou de vieux enfants qui n’osent pas vraiment entrer dans la vie. Des personnages figés dans une sorte de contemplation d’un monde qui les effraie. C’est ce que propose Fannie Loiselle dans son premier roman, Les Enfants Moroses. La jeune auteure de 26 ans est originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Ce sont des fragments de vie, celle de Christophe, agent de télécommunications qui vit avec des bouchons dans les oreilles afin de ne pas entendre les bruissements des conversations, des sonneries, des alarmes; Camille qui adopte un serpent pour se sentir moins seule; Léanne qui écoute, à travers les murs, la vie de son voisin; ou Sarah qui court la nuit pour calmer ses angoisses de solitude et qui vole des décorations de jardin.

« Je ferme parfois les yeux pour courir dans le noir, un noir complet. Mes semelles de caoutchouc fondent un peu plus chaque nuit. Elles s’impriment sur la ville, dans les rues aux noms inoffensifs. Violettes, Roses, Mésanges. Pendant un instant, une joie informe me submerge. Une sorte de consolation. »Des enfants moroses, en effet. Pas prêts à entrer dans la vie, pas prêts à la vivre et qui se consolent avec des faux-semblants. D’un texte à l’autre, quelques incidents nous font découvrir les liens qui unissent les personnages. Et ces suites d’évènements anodins créent une forme d’intrigue dont la conclusion est plutôt une confirmation : « La morale de cette histoire, c’est ravale. Ravale, ma vieille. Dans la vie, on n’a pas tout ce qu’on veut, mais ce n’est pas une raison pour arracher des oreilles. »Les oreilles, parce qu’il est question de lapin et de toutes sortes d’animaux, de contes pour enfants, en apparence, finalement trop tragiques pour les endormir le soir. Tragiques comme les personnages des Enfants Moroses, qui, derrière toute leur retenue et leur agaçante passivité, laissent entrevoir leur désespoir. Désespoir de ne pas avoir trouvé la bonne route à suivre. Et l’on se dit que s’ils finissent par trouver cette route, ils ne la quitteront plus, rassurés d’être enfin sur les rails qui les mèneront jusqu’à la mort.

Poésie de l’ordinaire

Fannie Loiselle sait déceler dans de petits riens une sorte de poésie de l’ordinaire qui nous surprend au détour d’une phrase, d’une situation apparemment sans intérêts. Comme dans ce texte sur une jeune fille invitée chez ses beaux-parents avec son nouvel ami, La visite. En feuilletant de vieux albums photos, elle a cette réflexion alors qu’elle se rend compte que ses propres albums ressemblent à ceux de son ami :« La pellicule faisait du bruit quand on la décollait. Une sorte de déchirement. Je me suis imaginée tendue sous une nappe translucide. Comme une deuxième peau. Toutes les vies étaient peut-être identiques, d’un album à l’autre. La différence était ailleurs, dans tout ce qu’on ne prend pas en photo. J’ai dit que tu avais été un très bel enfant. »

Puis, la jeune fille descend avec son ami dans le sous-sol et c’est encore un moment de poésie de l’ordinaire auquel on ne s’attendait pas au sujet de tant de rien : « Nous sommes descendus au sous-sol. Les murs étaient plâtrés et peints. Le plafond était suspendu et le plancher, flottant. »Fannie Loiselle est-elle aussi discrète que son écriture, montrant avec gêne son talent, n’évoquant que voilé le désarroi qui habite ses jeunes personnages? On sent en tout cas chez Les Enfants Moroses un talent qui ne demande qu’à s’affirmer. Les Enfants Moroses Fannie Loiselle Les éditions Marchand de feuilles, 2011, 152 p.

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