27 juin 2019 - 13:41
Dézoner 23 hectares pour Olivier-Chalifoux
Une usine Exceldor de 200 M$, voire 400 M$, comme argument
Par: Benoit Lapierre
René Proulx, président-directeur général d’Exceldor, a présenté son projet de relocalisation devant la CPTAQ. Photo Patrice Laroche | Le Soleil ©

René Proulx, président-directeur général d’Exceldor, a présenté son projet de relocalisation devant la CPTAQ. Photo Patrice Laroche | Le Soleil ©

À son deuxième passage devant la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) dans le dossier, la Ville de Saint-Hyacinthe a modifié sa stratégie dans l’espoir d’obtenir les 23,64 hectares (ha) de terre en culture qui lui permettraient d’agrandir le parc industriel Olivier-Chalifoux pour accueillir le projet Exceldor.

Cette fois, elle a joué cartes sur table en misant tout sur ce gros projet industriel dont elle n’avait pas encore parlé devant la CPTAQ. On sait pourtant depuis des mois que la coopérative avicole Exceldor veut remplacer son abattoir de Saint-Damase par une nouvelle usine qu’elle entend construire à Saint-Hyacinthe sur 14 des 23 ha faisant l’objet de la demande d’exclusion déposée par la Ville en mai 2018.

À cette rencontre de plus de cinq heures qui s’est déroulée le 29 mai au bureau de la CPTAQ de Longueuil, c’est le président-directeur général d’Exceldor, René Proulx, qui s’est chargé lui-même d’expliquer ce projet « de l’ordre de 200 M$ », comme il l’a annoncé. « C’est de loin le projet d’investissement le plus important pour l’entreprise. Je ne vous cacherai pas que d’autres municipalités nous ont courtisés, mais c’est là [dans Olivier-Chalifoux] qu’on veut s’installer. […] On peut difficilement s’imaginer qu’on ne sera pas à Saint-Hyacinthe dans la transformation de volaille », a déclaré M. Proulx.

400 M$

Le grand patron d’Exceldor a aussi révélé l’existence d’une phase II, prévue dans un horizon de 10 ans, qui multiplierait par deux tous les chiffres et investissements liés à la phase I. Avec cette phase II, l’investissement global grimperait à plus de 400 M$ pour une usine d’une superficie totale de 380 000 pieds carrés qui compterait quelque 1200 employés. Construite sur trois étages, incluant un sous-sol, la première usine couvrirait donc 190 000 pieds carrés au sol (17 651 m2) et possèderait une capacité d’abattage d’un million d’oiseaux par semaine, soit la même que l’abattoir Exceldor de Saint-Anselme, près de Lévis, et le double de l’usine actuelle de Saint-Damase, qui compte entre 250 et 280 employés.

Étape cruciale devant la CPTAQ

La rencontre du 29 mai, étape cruciale dans le dossier, avait été demandée d’urgence par la Ville de Saint-Hyacinthe après le dévoilement de l’orientation préliminaire de la Commission à l’égard de sa requête déposée en mai 2018, opinion qui s’annonçait désastreuse pour la suite des choses. Se basant sur les informations qui lui ont été communiquées pour l’examen du dossier, la CPTAQ concluait que la demande devrait être refusée, considérant la haute qualité du sol agricole visé et la possibilité qu’il existe ailleurs un site de moindre impact pour l’agriculture qui pourrait servir à regarnir la banque de terrains industriels de Saint-Hyacinthe, épuisée à près de 95 % selon la Ville.

À la première audience, l’Union des producteurs agricoles (UPA) avait signalé à la CPTAQ que la Ville, outre les 23 ha agricoles lui appartenant à l’ouest d’Olivier-Chalifoux, possède un espace de 38 ha contigu au parc industriel Théo-Phénix et qui pourrait y être ajouté sans que la Commission ait à donner son accord. Personne n’a nié que ces lots, comme l’affirme l’UPA, font l’objet d’un droit acquis d’utilisation non agricole, du fait que la Ville les a achetés à des fins industrielles bien avant l’avènement de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles.

Évidemment, il a été question de Théo-Phénix et du fameux terrain oublié de 38 ha au cours de la rencontre du 29 mai. Mais parmi les intervenants au dossier, seuls les représentants de l’UPA voient l’usine Exceldor ailleurs que dans le parc industriel Olivier-Chalifoux agrandi. « Si ça ne fonctionne pas pour ce terrain-là, c’est certain qu’on va aller ailleurs [qu’à Saint-Hyacinthe] », a averti René Proulx.

Biosécurité

Il soutient que la présence de deux meuneries dans Théo-Phénix pourrait porter atteinte à la biosécurité des futures installations Exceldor si celles-ci étaient implantées à cet endroit. « Pour nous, ce n’est pas acceptable, pas envisageable pour deux raisons et la première, c’est la biosécurité (…). Nous n’irons jamais dans un site à risque de contamination comme celui-là pour un projet de 200 M$. » Pour lui, l’autre grand inconvénient du site Théo-Phénix est son accès difficile, au nord de l’autoroute 20, pour les 50 à 60 remorques qui s’y rendraient quotidiennement et pour les 600 employés de la future usine, lesquels génèreraient de 400 à 450 déplacements en voiture. « Ce serait beaucoup plus compliqué que sur l’avenue Pinard », juge-t-il.

Le directeur général de la Ville de Saint-Hyacinthe, Louis Bilodeau, a quant à lui insisté sur le fait qu’il en coûterait environ 6,78 M$ en dollars 2019 pour desservir l’usine en aqueduc et égout, avec poste de pompage et traverse d’autoroute obligatoire, comparativement à 1,64 M$ pour des infrastructures dans la rue Charles-Gilbert vers le site visé. Il a également signalé que les 38 ha de Théo-Phénix étaient contigus au parc Les Salines, insistant sur l’incompatibilité entre une telle aire de villégiature et une usine agroalimentaire. « Il s’est planté des milliers d’arbres à cet endroit », a-t-il dit, en parlant de plantations réalisées aux Salines il y a une dizaine d’années.

À ce propos, l’urbaniste de l’UPA, François Thomas, a laissé entendre que Saint-Hyacinthe avait fait preuve d’incohérence dans l’aménagement de son territoire en permettant la cohabitation d’un parc industriel lourd et d’un parc régional. « Pourquoi avoir accepté Veolia? Il y a plein d’industries contraignantes à Théo-Phénix », a-t-il argumenté.

Il a ajouté que, dans Olivier-Chalifoux, il existait aussi au moins trois usines agroalimentaires représentant un risque pour le projet Exceldor. « L’argumentaire de la biosécurité ne tient pas la route », en a-t-il conclu.

M. Thomas a aussi réagi aux propos du maire Claude Corbeil, qui s’est employé à vanter les mérites du site Olivier-Chalifoux pour un projet aussi important que celui d’Exceldor pour sa ville. « Quand on est maire et qu’on regarde ça, c’est un gros morceau et ça nous excite. Je comprends ça et je ferais la même affaire. Mais moi, je représente une organisation qui regarde ça par l’autre bout de la lorgnette et, pour moi, Exceldor va se construire, tout le monde sait ça dans la salle. Pour nous, c’est suffisant. »

Au terme de la rencontre, la CPTAQ a demandé à la Ville de lui fournir, avant le 14 juin, une description de tous les espaces vacants dans l’agglomération de recensement de Saint-Hyacinthe, ce qui inclut les territoires de Saint-Dominique et Saint-Simon. Après réception des dernières informations au dossier, la Commission devait déterminer si elle allait émettre un avis de modification de son orientation préliminaire, où rendre sa décision dans les prochaines semaines.

Note : d’après l’enregistrement officiel de la CPTAQ de la rencontre publique du 29 mai 2019.

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