11 juillet 2019 - 14:07
Forum
Le jour où nous nous réjouirons d’être piqués par des moustiques
Par: Le Courrier
J’ai trouvé assez ironique que le rédacteur en chef du Courrier de Saint-Hyacinthe se désole, dans son Pissenlit de l’édition du 27 juin, de la présence de trop nombreux moustiques sur les terrains de golf et cela, la semaine même du décès du grand entomologiste québécois Georges Brossard et de la publication d’un dossier sur la disparition des insectes dans le dernier numéro de Québec Science (juillet-août).

Pourquoi Georges Brossard se serait-il au contraire étonné et réjoui de cette abondance de bibittes? Tout d’abord parce que plusieurs études ont démontré, dans les dernières années, que les populations d’insectes sont en dangereux déclin dans de nombreuses régions du globe, jusqu’à cet article de février dernier dans The Guardian, qui parle carrément de « insect collapse ». En effet, jusqu’à 40 % des espèces d’insectes seraient en déclin si sévère qu’on pourrait envisager leur extinction d’ici les prochaines décennies.

De nombreuses personnes ont été touchées et sont préoccupées par la mortalité anormalement élevée des abeilles domestiques, mais aussi des insectes pollinisateurs sauvages en lien avec l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes : cet éveil de l’intérêt envers l’apport considérable et parfois essentiel que cette catégorie d’insectes amène à la réussite de notre agriculture et, par conséquent, à notre existence même, est une bonne nouvelle.

Toutefois, même les insectes considérés comme nuisibles ou tout simplement inintéressants par la majorité d’entre nous contribuent de façon essentielle à la survie des écosystèmes. Ainsi, la 2e édition de l’Altas des oiseaux nicheurs, qui vient tout juste de paraître, a confirmé que plusieurs espèces d’oiseaux, mais en particulier les oiseaux insectivores aériens, comme les hirondelles et les engoulevents, sont eux aussi en déclin, vraisemblablement à cause de la diminution de leurs proies.

Une autre catégorie d’animaux est directement menacée par la perte des moustiques : les chauves-souris. En effet, toutes les espèces de chauves-souris retrouvées au Québec sont insectivores et peuvent manger jusqu’à 600 insectes par heure. Déjà gravement menacées par le syndrome du museau blanc depuis une dizaine d’années, la diminution de la biomasse d’insectes pourrait leur causer un dernier coup fatal.

Les amphibiens comme les grenouilles et les salamandres se nourrissent eux aussi en grande partie d’insectes et, encore là, eux dont la survie même est menacée par la perte de milieux humides et l’utilisation de certains herbicides comme l’atrazine pourraient dans certains cas se retrouver au bord de l’extinction.

Finalement, les insectes sont souvent la principale source de protéines pour de nombreux humains à travers le monde. Que ce soit pour des raisons traditionnelles ou parce que les protéines animales coûtent trop cher, plusieurs populations, que ce soit en Asie, en Amérique du Sud ou ailleurs, intègrent quotidiennement des insectes à leur diète. Le dernier rapport de la FAO rapporte d’ailleurs que la consommation d’insectes deviendra un incontournable avec la croissance de la population mondiale et la perte de terres agricoles, et que cet apport protéique de haute qualité est beaucoup moins polluant que l’élevage traditionnel.

Bien sûr, les insectes peuvent également être une source d’ennui pour notre espèce, par exemple en transmettant certains virus (comme le virus du Nil), bactéries (comme Borrelia burgdorferi, responsable de la maladie de Lyme) et parasites (comme Plasmodium, responsable de la malaria). De même, plusieurs espèces peuvent ravager les cultures et réduire à néant la production de toute une saison. Ces problèmes peuvent toutefois être contrôlés et traités en grande partie avec des vaccins et médicaments et, dans le domaine de l’agriculture, avec des pratiques raisonnées qui tiennent compte de la santé des écosystèmes.

Car il reste que le jour où les insectes auront disparu de façon significative, ils auront probablement entraîné dans leur sillage la mort de plusieurs autres espèces de plantes et d’animaux, une conséquence nettement plus néfaste que leur abondance ponctuelle.

Georges Brossard rêverait sûrement du jour où notre journal présenterait une Rose de la semaine dont le libellé serait le suivant : « Une mobilisation monstre a eu lieu à Saint-Hyacinthe pour demander au gouvernement d’interdire l’utilisation routinière des néonicotinoïdes et autres pesticides, de promouvoir l’agriculture biologique et de veiller à restaurer et préserver des milieux naturels afin de sauvegarder nos vaillants et géniaux insectes ».

Sonia Chénier
Comité En Vert et pour Tous, Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

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