7 novembre 2013 - 00:00
Souvenances de mon enfance (3)
Par: Le Courrier
Le marché d’Acton Vale, construit en 1862 et démoli en 1947. La photo date de 1898.

Le marché d’Acton Vale, construit en 1862 et démoli en 1947. La photo date de 1898.

Le marché d’Acton Vale, construit en 1862 et démoli en 1947. La photo date de 1898.

Le marché d’Acton Vale, construit en 1862 et démoli en 1947. La photo date de 1898.

Le marché

Dans le centre-ville, il existait le marché public, d’autres commerces et des magasins généraux.

Le marché

C’était un édifice vétuste dont l’aspect extérieur avait conservé une ressemblance avec les marchés de certaines cités des États-Unis. Que s’est-il passé pour que sa démolition ait été décrétée; sa rénovation eut été si facile!

Le marché était bien situé, au centre de la ville et était polyvalent; il abritait une salle de spectacle, une salle de conseil, un bureau pour le secrétaire-trésorier de la municipalité, un local pour la pompe à incendie, deux cachots qui nous faisaient bien peur quand nous avions fait un « mauvais coup » et des stalles pour vendeurs de viande, de légumes et de fruits. Le printemps, on installait autour du marché des étalages où étaient disposés du sirop d’érable, du sucre du pays et de la tire; l’été, étaient étalés les fruits des champs, les légumes, les pommes et les conserves. L’automne, quelques cultivateurs, après avoir fait leur « boucherie » des Fêtes, venaient au marché pour écouler leur surplus de viande fraîche, du bon porc frais grillé, du boudin et de la saucisse domestique.

Autres magasins

À un coin de rue de la maison paternelle, sur la rue du Marché, se trouvait le magasin de monsieur Salomon, occupé par la suite par monsieur Jacob Dinovitzer. Ce magasin, comme celui de monsieur Joseph André Fernandeau Gauthier sur la rue Beaugrand, s’appelait, dans le temps, un magasin de « marchandises sèches »; on y vendait des habits, des robes, des souliers, des manteaux, des sous-vêtements, des rideaux, des tapis, etc.

De nos jours, comme dans beaucoup d’autres domaines, la spécialisation s’est infiltrée dans ces grands magasins et plusieurs différentes « boutiques de mode » ont pris naissance. Les dépanneurs, comme tels, n’existaient pas; ils n’étaient pas nécessaires car nos magasins étaient ouverts tous les jours et presque tous les soirs. J’allais souvent chez le père d’Ivanhoë Fortier, au coin des rues MacDonald et du Marché, pour une coupe de cheveux ou l’achat de quelques friandises. Les plus âgés y allaient pour du tabac ou des cigarettes. Les cigarettes à la mode étaient alors les Sweet Caporal, les Gloria, les Derby, un paquet de six cigarettes pour cinq sous, et les Honey Suckle. Le cigare Peg Top avait la faveur générale. J’ai aussi souvenance d’un petit ring de boxe à l’étage d’une maison près de l’hôtel Dominion. Ce ring n’a pas existé très longtemps car il s’était vite transformé en un lieu où les jeunes, au lieu d’y faire de l’entraînement, s’y rendaient pour régler, à coup de poings, leurs disputes et leurs animosités. Il en résultait parfois des saignements de nez, un oeil au « beurre noir », des coupures aux arcades sourcilières et aux lèvres. Sur l’insistance de plusieurs pères de famille et au désespoir des jeunes batailleurs, le ring dut cesser ses activités.

Le quêteux

C’était un homme dont il fallait deviner l’âge; il pouvait avoir trente ans et en paraître soixante. Afin de paraître plus indigent, il était toujours revêtu de haillons, pantalons défraîchis et rapiécés, chemise aux pièces multicolores, veston déchiré ou veste de laine délavée, des souliers aux semelles trouées avec de la corde de lieuse servant de lacets et, comme couvre-chef, une vieille casquette dont la palette était toute craquelée et ondulée.

Il circulait avec une canne à la main; elle aidait à sa marche, il paraissait plus vieux et, comme elle était courte, il marchait courbé. Elle pouvait aussi lui servir de protection contre les jeunes garnements. On ne savait d’où il venait et encore moins où il allait. On le voyait arriver au début du printemps et il quêtait jusqu’à la fin de l’automne. En passant de porte en porte, dans les rangs et les rues des villages, il demandait : « voulez-vous faire la charité à un pauvre quêteux, pour l’amour de Dieu ». Il ramassait des sous, parfois des pièces de deux sous et, de temps à autre, un petit cinq sous chez les plus nantis. Il pouvait récolter environ trente sous par jour, rarement plus et certains jours un peu moins. Il acceptait avec plaisir et multiples révérences les vieux vêtements qui lui étaient offerts; il les empilait dans un sac passé par dessus l’épaule et traînant sur son dos. À l’heure des repas, certaines bonnes gens le prenaient en pitié et lui préparaient un goûter qu’il dégustait assis sur la galerie à l’arrière de la maison. Le nom de notre quêteux n’était pas connu et son histoire encore moins; on l’acceptait et on le recevait gentiment; c’était le quêteux, une coutume dans la région. Comment passait-il l’hiver? Où demeurait-il et y était-il connu comme un quêteux? Je n’ai pas de réponses à ces questions.

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