30 août 2018 - 00:00
100e anniversaire de la bataille de Chérisy
Un Saint-Pien a joué les héros
Par: Le Courrier
Albéric Marin, médecin-capitaine, entre 1915 et 1918. Photo Musée de la Citadelle de Québec

Albéric Marin, médecin-capitaine, entre 1915 et 1918. Photo Musée de la Citadelle de Québec

Albéric Marin, médecin-capitaine, entre 1915 et 1918. Photo Musée de la Citadelle de Québec

Albéric Marin, médecin-capitaine, entre 1915 et 1918. Photo Musée de la Citadelle de Québec

Il y a de ces individus pour qui la vie au départ s’annonce sans histoire, sans éclat, et qui pourtant, un jour, deviennent de ces personnes qui font l’histoire. C’est le cas d’Albéric Marin, héros lors de la guerre 1914-1918 et qui deviendra médecin dermatologue et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.


L’étudiant patriotique
Albéric Marin, né le 12 mars 1893 à Saint-Pie, fils de Régis Marin et Emma Célina Boulay, déménage à Montréal en 1896. Il fait ses études classiques au sein de trois institutions : au Collège de Montréal, de 1905 à 1908; au Séminaire de Saint-Hyacinthe, de 1908 à 1910; et au Collège Sainte-Marie, à Montréal, de 1910 à 1911. Par la suite, il entreprend des études en médecine, et c’est durant cette période qu’il entend l’appel patriotique et s’enrôle à deux reprises dans les Forces expéditionnaires canadiennes d’outre-mer, plus précisément dans le Corps médical de l’Armée canadienne (C.A.M.C.), lors de la Première Guerre mondiale.

D’abord, le 13 mars 1915, âgé de 22 ans, il cesse temporairement ses études en 4e année de médecine pour aller aider dans les hôpitaux militaires en Europe. Le milieu militaire n’est pas inconnu d’Albéric : il est membre à Montréal de la XXth Field Ambulance, une unité médicale au service de la Milice canadienne. Arrivé à Devonport, en Angleterre, le 15 mai 1915, à bord du navire SS Metegama, Albéric Marin (matricule 665) est rattaché au 4e Hôpital stationnaire canadien (hôpital pour Canadiens français formés à Montréal), installé temporairement à Shorncliffe. Il y reçoit son entraînement dès le 29 juillet et, le 19 novembre, Albéric se retrouve en France, à Saint-Cloud, où le 4e Hôpital stationnaire canadien vient d’être installé. À Paris, le 22 février 1916, il est démobilisé le 26 mars suivant et rentre au pays afin de terminer ses études. Gradé sergent, il reçoit sa première médaille : 1914-1915 Star, British War Medal.

Le médecin militaire
Reçu médecin en septembre 1916, il s’enrôle à nouveau le 30 novembre suivant, dans l’Unité 344, le dépôt d’entraînement no 4 du Service de santé de l’armée canadienne. Parti d’Halifax le 4 mars 1917, il arrive au port de Liverpool, en Angleterre, le 15 suivant. Rattaché au 2e Bataillon de réserve canadien le 1er mai, et au 11e Bataillon à Shorncliffe le 28 juin, il traverse en France le 6 juillet. On le retrouve à l’ancien Hôpital stationnaire canadien no 4 de Saint-Cloud, devenu l’Hôpital général canadien no 88, du 21 juillet 1917 au 31 janvier 1918, date à laquelle Albéric rejoint les rangs du 22e Bataillon afin de remplacer le docteur C.-J. Charpentier parti à Saint-Cloud. Il sera le dernier des huit médecins de ce bataillon.

Le poste de médecin d’un régiment aux tranchées est habituellement situé à environ un demi-mille (0,8 km) de la ligne de feu, afin d’y recevoir les blessés. Tout comme l’aumônier et le caporal des services sanitaires, le médecin est un officier non combattant. Lorsqu’un soldat ou un officier est blessé, les brancardiers du peloton le transportent au poste de secours régimentaire où se trouve le médecin. Ce dernier n’attend pas toujours l’arrivée des blessés. Il lui arrive de se rendre sur le terrain des hostilités, notamment dans les tranchées, pour aider les blessés qui ne peuvent sortir et ceux qui doivent continuer à se battre.

En France, en 1918, Albéric Marin participe aux batailles d’Arras en mars, d’Amiens les 8 et 9 août, où il agit comme chirurgien major du 22e Bataillon, et de Chérisy du 27 au 29 août. Au sud d’Arras, après avoir pansé un aviateur blessé tombé près de la ligne ennemie, le docteur Marin découvre des huttes de 30 pieds (9 mètres) de long chacune. Il décide d’y établir son poste de secours en compagnie d’un aumônier québécois, le capitaine Rosaire Crochetière, du diocèse de Nicolet. Dans la nuit du 2 au 3 avril, après avoir fait évacuer par ambulance tous les blessés cachés dans la hutte, Marin quitte quelques instants son poste afin d’aller secourir des hommes sur la ligne de feu. Il passe à travers la mitraille intense. Quelques minutes plus tard, un obus allemand éclate près de la hutte du médecin et tue l’aumônier.

Lors de la bataille de Chérisy, le docteur Marin, en plus de continuer à soigner les blessés avec distinction, se fait remarquer en tant qu’officier combattant. En effet, ayant remporté un grand succès lors de la bataille d’Amiens, les Canadiens sont désignés pour ouvrir le système de défense allemand, soit la Ligne d’Hindenburg, situé entre les villes d’Arras et de Cambrai, comprenant un réseau d’îlots en béton armé, des milliers de mitrailleuses, une artillerie puissante, des fils de barbelés, etc. Ce système de défense bien organisé pour l’époque est une véritable forteresse imprenable, selon les Allemands.

Les Canadiens y travaillent du 26 août au 11 octobre 1918. Le 22e Bataillon amorce cette bataille le 27 août. Pendant deux heures, les hommes, par petits groupes, attaquent en traversant les trous d’obus et les barbelés, dans une plaine fauchée par les mitrailleuses et les obus, sans compter les corps à corps à la baïonnette. Le champ de bataille est couvert de morts. Le 28 août, le major Georges Vanier (qui deviendra gouverneur général du Canada de 1959 à 1967) lance une nouvelle attaque. Blessé dès le début de l’offensive, et malgré les secours du docteur Marin, il devra être amputé de la jambe droite à l’hôpital de Ligny Saint-Flochel.

Après trois jours de combat, dans la soirée du 29 août 1918, sur les 700 sous-officiers et soldats et les 22 officiers, il ne reste plus que 80 sous-officiers et soldats et un seul officier, le docteur Albéric Marin. Tous les autres hommes ont été tués ou blessés. Sans chef, les soldats hésitent à poursuivre le combat.

De son ambulance, le docteur Marin voit bien que la situation est devenue désespérée. N’écoutant que son courage, il enlève ses insignes de la Croix-Rouge, qui lui donnent la protection, dévale la pente en vitesse, donne son masque à gaz à un soldat qui n’en a plus, prend le fusil d’un mort, rassemble les survivants et part à l’attaque avec ses hommes contre les Boches et les mitrailleuses.

Au cours de la bataille, il soigne également les blessés. Pendant qu’il panse un des siens, il est lui-même blessé à la main gauche par un pistolet à fusée. Jusqu’à 22 heures, il continue à diriger ses hommes malgré un bras en écharpe, jusqu’à ce qu’il soit blessé une seconde fois, selon certaines sources, par un obus qui éclate tout près de lui, le renverse, l’assomme et le blesse à la main droite; pour d’autres, il est gazé par l’ennemi. Il reprend conscience le lendemain sous une tente d’ambulance de campagne. La carrière d’officier combattant du médecin-capitaine Albéric Marin prend ainsi fin. Le 30 août, le 22e Bataillon n’a plus d’officiers et ne compte plus que 40 soldats.

Le héros médaillé
Pour ses actes de bravoure à Amiens et à Chérisy, le docteur Marin sera décoré des médailles de la croix militaire (Military Cross) avec agrafe (c’est-à-dire une deuxième Croix Militaire), fait exceptionnel, surtout dans le Service de santé, qu’il reçoit des mains du roi d’Angleterre George V le 11 janvier 1919.

Selon les archives militaires et la Gazette de Londres, il a mérité ces décorations pour sa « […] bravoure et son dévouement remarquable. Pendant plusieurs jours consécutifs, il a soigné et encouragé les blessés sous un violent feu d’artillerie et de mitrailleuse avec détermination et entrain, malgré qu’il fut lui-même blessé. Son exemple d’abnégation et de mépris du danger eut un effet considérable sur tout le bataillon ».

Albéric Marin est aussi l’un des rares officiers du 22e Bataillon à recevoir les médailles de Guerre 1914-1918, de la Victoire, 1914-1918, ainsi que la Croix de la Légion d’honneur de France en 1927.

La guerre ayant pris fin le 11 novembre 1918, c’est à bord de l’Olympic, le navire jumeau du Titanic, que les hommes du 22e Bataillon canadien-français reviennent au Canada, à Halifax, en provenance de Southampton, en Angleterre, le 16 mai 1919. Quelques jours plus tard, le 19 mai, c’est la démobilisation générale à la Caserne de la rue Peel, à Montréal. Albéric Marin quitte le 22e Bataillon pour reprendre la vie civile. Il deviendra un médecin spécialisé en dermatologie et acquerra une réputation internationale.
Hommage symbolique

Le docteur Albéric Marin décède à l’Hôpital Notre-Dame le 17 novembre 1960 des suites d’une crise cardiaque à l’âge de 67 ans et 9 mois. Des soldats du 22e Régiment montent la garde près de la dépouille mortelle exposée au Salon des gouverneurs de l’Hôpital Notre-Dame de Montréal. Le ministre canadien de la Défense ordonne des funérailles militaires en hommage au héros de la guerre 1914-1918. Il est inhumé au cimetière de Saint-Pie dans le lot familial, à la suite d’une imposante cérémonie du « Dernier repos », en présence de militaires du 22e Régiment de Montréal. D’Ottawa, la famille reçoit un télégramme du gouverneur général du Canada, Georges Vanier : « J’apprends avec infinie tristesse la mort de mon vieil ami le docteur Albéric Marin qui au risque de sa vie, pendant que le 22e Bataillon attaquait le 28 août 1918, est venu panser mes blessures. »

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